Stripped – Chapitre 18

Attaque massive

Musique pour les masses ? Une grande partie de nos fans ont pensé qu’on l’avait faite. Martin a vu un album intitulé Musique pour les millions, et on l’a trouvé assez marrant, alors [c’était] Music For The Masses. Mais encore une fois, c’est devenu, à la fin, de la musique pour les masses parce qu’on a fait ce gros concert au Rose Bowl [à Pasadena en Californie], ce qui était le vrai clou de notre carrière”.
– Andy Fletcher, 1998

Quand Francesco Adinolfi de Record Mirror lui a demandé ce qui se passait chez Depeche Mode pour la première partie de 1987, Andy Fletcher a répondu nonchalemment : “On se relaxe”. En vérité, la vie au sein du camp Depeche ne s’était pas arrêté après le long Black Celebration Tour.

Martin Gore a échangé son histoire d’amour décadente avec la vie nocturne berlinoise – et sa relation avec Christina Friederich – pour un appartement dans le quartier londonien de Maida Vale, pas loin d’Andy Fletcher et sa petite amie, Grainne Mullen. Les projets à court terme de Gore incluaient l’écriture du prochain album, et au moment où le groupe a approché encore une fois l’enregistrement, Dave et Jo Gahan étaient en bonne voie de devenir parents pour la première fois.

Alan Wilder – qui avait emménagé dans une maison d’Hampstead pour installer sa famille de substitution (Jeri et Jason Young) – entretenait quelques projets musicaux individuels, comme il l’a divulgué à Bob Doerschuk de Keyboard : “J’aime l’idée d’être totalement indépendant, sans à avoir à répondre à quiconque, ce qui signifie faire mon propre enregistrement, ma propre production, mon propre jeu et tout. Je ne le fais que durant mon temps libre, cependant”.

Wilder avait mis une partie de l’instrumentalisatin électronique du groupe à l’épreuve dans son home studio 16 pistes. “J’ai toujours eu des choses comme mon MiniMoog et je venais juste d’apporte des claviers [sampleurs] comme les Emulators à la maison. En fait, je travaillais avec le séquenceur interne de l’Emulator [II] depuis un moment, qui n’était pas très bon, mais c’était tout ce que j’avais. En termes d’enregistrement, tout allait dans un magnétophone à bandes à quatre pistes, alors c’était une installation très basique pour commencer”.

Aussi basique qu’elle était, mais les résultats créatifs de cette installation première signalait par inadvertance le début de l’alter ego solo discret de Wilder, Recoil, avec la sortie à la fin de l’année 1986 du mini-album 1+2 sur Mute. Comprenant un groupe de samples de Depeche Mode habilement manipulés et d’autres matériaux utilisant un sampleur d’Emulator, le Jupiter-8 de Roland et le Wave 2 de PPg, cet enregistrement expérimental original n’était jamais conçu comme sortie commerciale.

Comme l’a expliqué Wilder : “1+2, c’était vraiment juste moi qui faisait l’imbécile à la maison. C’était une cassette démo sur un [magnétophone] Fostex ou Tascam quatre pistes, et ça finit par être sorti après que je l’ai fait écouté à Daniel [Miller]. Il a dit : Pourrais-tu refaire ça ? Je n’avais pas vraiment le temps de le refaire proprement, alors on a juste décidé de le sortir discrètement, comme il était, et de ne pas y payer trop attention”.

Dans l’état des choses, la réponse de certains quartiers de la presse musicale a été étonnement encourageante, comme souligné par la chronique suivante de Dance Music Report : “1+2 est complètement basé sur du synthétiseur, pourtant il ne ressemble pas du tout aux jolies méditations pop du groupe [Depeche Mode]. De nature principalement instrumentale, une parite pulse dans le sens traditionnel, mais sert surtout d’ambiance. Il est sympa de voir des membres de D. Mode étendrent leurs activités dans des aventures musicales sérieuses, plutôt que prendre la route facile de produire des niaiseries simplement bubblegum”.

Avec le recul, Wilder n’était pas entièrement heureux de ses griffonnages minimalistes, déclarant : “Je n’avais pas le temps de faire quoi que ce soit de ça. On l’a trouvé bon pour le sortir et peut-être que je n’étais pas si précieux de ça parce que ce n’était qu’un projet parallèle à l’époque”.

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Le prochan album de Depeche Mode impliquait une période importante de pré-production dans le home studio de Wilder, où ils travaillaient sur les démos de Gore. Cette fois, Daniel Miller s’est retiré de ses fonctions de co-producteur, citant les tensions peu confortables qui sont survenues durant l’enregistrement de Black Celebration.

Fraîchement débarqué de l’album de perçée internationnale So de Peter Gabriel qui s’est vendu à des millions d’exemplaires (et ses mégatubes Sledgehammer et Don’t Give Up) au Real World Studios de Gabriel, l’iingénieur du son/producteur Dave Bascombe a été employé (avec la bénédiction de Miller) pour polir le son de Depeche Mode. Gareth Jones était aussi absent ; mixant et produisant des artistes de Mute, Holger Hiller (ex Can), Nitzer Ebb et Wire, à Hansa à Berlin durant l’année 1987.

Né à Chester en Angleterre, Dave Bascombe a grandi à Londres comme avide acheteur de disques et auditeur de radio, retrouvant des mélodies sur le piano de la famille. De manière intéressante, son expérience adolescente reflétait celle d’Alan Wilder : trouvant un poste de tape op/garçon à tout faire dans un studio d’enregistrement où il a aiguisé ses talents d’enregistrement durant les heures de fermeture. La réputation de Bascombe lui a permis de décrocher divers boulots d’ingénieur du son freelance avant de s’assurer un poste à plein temps aux Marcus Studios à Fulham.

En 1983, il a en partie enregistré l’album de Echo & The Bunnymen acclâmé par la critique, Porcupine, dans ce studio, mais sa carrière a monté d’une vitesse quand il a enregistré l’album de Tears For Fears qui s’est échangé à quatre millions d’exemplaires, Songs From The Big Chair, et qui a été à la première place des charts Billboard au printemps 1985. L’album a engendré deux singles en haut des charts américains avec Everybody Wants To Rule The World (qui a également remporté le Brit Award du meilleur single en 1986) et Shout, tous les deux entrés dans le Top 5 au Royaume Uni. Martin Fry de ABC a une fois loué Dave Bascombe ainsi : “Pour nous, c’est la quintessence de l’ingénieur du son et du producteur, heureux de passer 13 jours à travailler non-stop sur un son”.

Sur papier du moins, il semblait que Bascombe s’entendrait parfaitement bien avec Depeche Mode – le “groupe [qui] sait plus qu’un autre comment utiliser le son”, selon David Quantick du NME. La réalité du partenariat a raconté une histoire différente, comme l’a expliqué Alan Wilder de manière comique : “De tous les albums de DM, Music For The Masses était probablement le disque le plus auto-produit. Malgré tout le respect que je lui dois, le rôle de Dave Bascombe était plus celui d’un bon ingénieur du son que d’un producteur.

“Un producteur de musique est en gros l’équivalent d’un réalisateur de film – quelqu’un qui conserve la vision globale d’un disque, qui tente de tirer le meilleur du matériel brut que l’artiste lui donne, et quelqu’un qui a habituellement le dernier mot à propos du produit fini. Ils sont très divers : il y a ceux qui sont très sur le tas – voire qui jouent de certains instruments – et ceux qui sont complètement non musicaux, mais qui ont en quelque sorte une grande perspective.

“Le rôle d’un ingénieur du son est de réaliser les idées du producteur [et] des artistes d’un point de vue technique…

“Ingénieur du son : Tu sais, je vais essayer de l’envoyer dans le delay 163457B et puis le dériver dans la grosse caisse, distordu par un Leslie qui utilise trois micros D72 à diverses distances.

“Producteur : Ne fais pas le malin avec moi, fiston ; s’il sonne merdique, je le laisserais tomber !

“Ingénieur du son : Comme vous le voulez, monsieur.

“Producteur : C’est bien. Garçon ! Fais moi une tasse de thé, et sors m’acheter un pot de peinture tartan… Aspire le plafond, tant que t’y es !”

Montrant la perspective typiquement hilarante du groupe à l’époque, Andy Fletcher a expliqué le titre du nouvel album : “Le titre est Music For The Masses. C’est un peu ironique, vraiment. Tout le monde nous dit qu’on devrait faire de la musique plus commerciale, alors c’est la raison pour laquelle on a choisi ce titre”. (1)

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Le single qui a précédé l’album, Strangelove, a été enregistré aux studios Konk des Kinks à Hornsey dans le Nord de Londres. La chanson a la réputation d’avoir été très difficile à assembler, et, avec le recul, Alan Wilder pensait que la version originale du morceau, sortie le 13 avril, était “trop encombrée”.

La réponse de la presse à la dernière messe sombre et lugubre d’amour de Gore, comme le représente le refrain enthousiaste de la chanson, a été généralement tempérée – avec l’exception prévisible de Smash Hits, dont l’enthousiasme était sans aucun doute soutenu par la somptueuse fête de lancement du single, tenue dans la suite Édouardienne du Kenilworth Hotel de Londres. Le groupe et quelques employés de Mute ont assisté à ce rassemblement gargantuesque, organisé par l’agent de publicité Chris Carr, nommé en 1982 par Daniel Miller comme celui de Depeche Mode, complété par un énorme mégaphone orange fluorescent avec le mot “BONG” écrit à l’intérieur, agissant comme un milieu de table lourd.

Smash Hits a rapporté le carnage fortement alcoolisé qui s’en est ensuit : “Andy Fletcher a une conversation fantôme avec un journaliste de Smash Hits, disant des choses comme : Ce n’est pas toujours comme ça, tu sais – parfois faire ce job, c’est vraiment chiant, parce que c’est un job, tu sais ; c’est un job, et quand on est en studio, c’est la chose la plus chiante au monde ; assez honnêtement je ne le fais que pour l’argent ; pour l’argent et les souvenirs… avant de partir dans ses pensées pendant une minute et puis de disparaître sous la table pour mâcher les genoux (ou autre chose) des gens où finalement il est rejoint par des jolies filles de la maison de disques, et personne ne semble plus savoir ce qu’il se passe”.

Pendant ce temps, “le cinglé” Martin Gore a couronné le comportement de son collègue en se livrant à une séance de déshabillage pendant que Alan Wilder “le Sauvage sifflant de la Pression” disait : « Je pense que c’est une farce complète. Un coup monté comme cleui-ci n’est autre qu’un fiasco. Je suppose que vous pensez qu’on s’entend vraiment bien, et que c’est comme ça tout le temps – eh bien, ce n’est pas le cas ! On se dispute constemment, et c’est ça le vrai nous. Ouais, je sais je suis cynique, mais je suis aussi réaliste”.

Le NME, non invité, a attendu trois semaines après la sortie britannique de Strangelove pour déplorer le manque “de naïveté maladroite qui faisait tant partir de leur charme d’autrefois” et “le côté expérimental de leur son” si évident dans “la métal-pop de l’inepte sur le plan lyrique People Are People”. Le verdict était cinglant : “Strangelove est une autre sortie dans le territoire de Soft Cell, mais Martin Gore ne connaitra jamais autant que Marc Almond le côté sombre de l’amour, et il manque à Dave Gahan la corruption nécessaire à la voix d’un chanteur tragique électronique”.

Sorrel Downer du Melody Maker sonnait comme si elle faisait de la déprime : “Bien sûr, il est joliment produit avec une instrumentalisation parfaitement proportionnée et un chant riche et distinct, mais où sont passés toutes les idées stimulantes et bizarres ? Les dernières qu’ils avaient eues, c’était le cuir et la dentelle, et je pense qu’il est temps qu’ils réfléchissent et en aient une autre”.

Martin Gore : “Une grande partie de mes chansons parlent de relations et d’amour, et le sexe en est une facette. Il n’y a qu’une ou deux chansons qui n’aient jamais touché le S&M. C’était à un moment où je sortais dans une grande partie de ces clubs, juste par curiosité. Je n’ai jamais été beaucoup branché par ça, mais c’était une scène fascinante”.

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Comme son prédécesseur A Question Of TimeStrangelove a atteint la 17ème place des charts singles britanniques avant de chuter pendant trois semaines.

Alan Wilder : “C’était en fait assez prévisible – le motif des sorties de DM a été le même pendant de nombreuses années. Les fans sont si dévoués qu’ils se ruent acheter les disques la première semaine de sortie, ce qui a pour conséquence d’une position très haute dans les charts, habituellement plus haute si c’est un single avant la sortie de l’album.

“Cette position est difficile à maintenir ou améliorer dans la seconde et troisième semaine, et le disque n’a habituellement pas le temps de traverses – s’il allait le faire – avant de tombez dans les charts. Dès que le single commence à dégringoler, c’est fini en trois ou quatre semaines – pas nécessairement un reflet de la musique, juste un syndrome auquel il est devenu presque impossible à échapper. En contraste, Just Can’t Get Enough a été dans les charts pendant 18 semaines ou un truc comme ça”.

Une paire de remixes était disponible sur deux maxi 45 tours séparés pour apaiser ces fanatiques désespérés à avoir un nouvel album de Depeche Mode, dont un tour remarquable de Daniel Miller – Strangelove (Blind Mix) – et le MIDI Mix, qui devait son nom – et son existence même – à une chaîne imprévue d’événements.

Alan Wilder : “Le mix [tient] son nom du fait que, à un moment durant la session d’enregistrement, la configuration MIDI s’est détraquée et tous les instruments [séquencés] ont commencé à jouer les mauvaises parties. Quelqu’un a trouvé que ça sonnait plutôt bien, alors on l’a retapé un peu et flanqué sur le [maxi 45 tours en édition limitée] en remix. J’ai mes doutes quant à la sagesse de ça maintenant, cependant”.

On ne pouvait douter de la sagesse d’avoir Anton Corbijn réaliser le clip de la chanson. Strangelove était un autre effort en noir et blanc avec du grain, tourné à Paris pour coïncider avec les sessions Music For The Masses au complexe de studios Guillaume Tell sur l’avenue de la belle Gabrielle.

Alan Wilder : “Anton a tourné le clip à Paris avec sa petite amie, Nassim, en figurante. Ça a marqué la première inclusion d’un ingrédient Anton caractéristique – la femelle de l’espèce (sous la forme de modèles et d’actrices)!”

Encore une fois, le clip a pris une forme quelque peu surréelle quand tous les membres du groupe étaient vus par intermittence portant de gros mégaphones sur lesquels était imprimé BONG13 – le numéro de catalogue du single – tandis que la “figurante” cabriolait dans une chambre dans divers étapes de déshabillement. En montant le clip, Corbijn a créé un élément de continuité avec son prédécesseur, A Question Of Time, car le dernier plan montrait le groupe éclatant collectivement de rire, ayant exagéré la méthode sacrée des acteurs.

L’expérience de Dave Gahan de travailler au Studio Guillaume Tell a été colorée par “l’incroyable” culot de leurs fans français : “Ils restent assis devant le studio d’enregistrement, et si un d’entre nous sortait, ils se ruaient en disant C’était quoi ? C’était le single qu’on vient d’entendre ? C’était le single ? Et il y avait un mec, complètement chelou, qui restait assis devant notre hôtel pendant littéralement des jours et des nuits. Et il ne disait jamais rien – il prenait juste des photos de nous tout le temps. Et il avait cette veste de treillis tout le temps et on pensait qu’il allait nous faire sauter ou quelque chose, et on disait : Euh, je ne sors pas le premier ! Il était bien chelou”.

De même, la belle Paris ne l’était pas pour le résident temporaire Andy Fletcher : “On séjournait à cet endroit à Paris qui était baptisé Crotteland, parce que tout le monde là-bas avait un chien et il y avait de la merde de chien partout – crotteland, c’était le moins qu’on puisse dire, je te le dis !”

Au moment où le clip de Strangelove tournait à la télévision européenne, Depeche Mode et Dave Bascombe avaient quitté les magnifiques monuments, sons et, si on doit en croire Fletcher, odeurs de Paris, pour le plus grand complexe d’enregistrement de Scandinavie – les Studios PUK, installés au fin fond du Danemark – où Daniel Miller les a rejoints pour le mixage. Avec deux studios d’enregistrements exceptionnellement bien équipés et éclairés par la lumière du jour – quatre appartements, une grande piscine intérieure chauffées, un assez grand Jacuzzi, un lit à U.V., un sauna, une salle de gym, et une table de billard sur place – finir Music For The Masses était une expérience plaisante.

Avec le recul, Alan Wilder classait PUK tout en haut avec Hansa de Berlin comme le meilleur studio d’enregistrement dans lequel il a eu le plaisir de travailler. Sans doute conscient des sessions de mixage de l’album précédent qui dépassaient leur temps donné, il semblait discipliné de manière déterminée. “Les commodités de PUK incluaient une piscine, une salle de gym et un sauna que j’utilisais régulièrement, habituellement avant de commencer à travailler, se souvient Wilder. On a aussi loué une voiture et parfois, j’allais faire de longues balades en voiture dans la campagne danoise quand j’avais besoin de m’éloigner de tout le monde. La vie nocturne était assez limitée, bien qu’à une occasion, on est allés dans la ville branchée la plus proche, qui se trouvait à une heure”.

La tranquilité d’une interlude pêche paisible près du studio a été grossièrement interrompue par un invité surprise – un taureau sauvage : “On a pris nos jambres à nos cous, et on n’a pas vu que le champ était entouré d’une barrière électrique, a dit Fletcher à Joepie. On a eu un sacré choc quand on est rentrés dedans !”

Si seulement les sessions de mixage pourraient être aussi électrifiantes, mais pour le moment le résultat final était toujours loin d’être certain. “Il est dur de parler du style du disque, mais les chansons sont vraiment bonnes”, a dit Andy Fletcher à Francesco Adinolfi de Record Mirror. “Il contient diverses humeurs. On a enregistré 15 chansons dont 9 ou 10 finiront sur l’album”.

Mais, comme c’était souvent le cas avec Depeche Mode, tout n’était pas nécessairement aussi simple que cela semblait…

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Selon certains, Dave Bascombe était hâtif dans son exposition des soi-disants défauts de l’album, mais en rejoignant Depeche Mode au Danemark, Daniel Miller a démontré que la proche relation de production précédemment forgée avec le groupe demeurait – malgré les sessions de mixage pénibles un an plus tard. L’équipe a commencé par remixer encore une fois Strangelove pour l’inclusion sur Music For The Masses. Miller avait déjà créé le Blind Mix et le consensus général était que des éléments de cela devraient être intégrés dans la version album. Le résultat a ainsi été un amalgame du 45 tours original, sorti avant que le mix final n’ait commencé, et du remix de Miller pour le maxi 45 tours édition limitée.

Strangelove n’était pas seule dans les enjeux de falsification. Un mix additionnel de To Have And To Hold a fini par apparaître sur la version CD de Music For The Masses sous le nom To Have And To Hold (Spanish Taster)(2) Mais pourquoi avoir besoin de deux versions de la même chanson sur le même CD ?

Alan Wilder a souligné la flexibilité musicale qui existait au sein de Depeche Mode dans une certaine mesure : “C’est vraiment très simple. Martin a soumis sa démo de la manière habituelle, et bien que j’aimais la chanson, son idée originale était trop légère à mon goût – et, je sentais, l’humeur de l’album – alors je l’ai poussée dans une direction plus sombre, plus atmosphérique. C’était la première version de la chanson qui a toujours été conçue d’être sur l’album. Martin, cependant, était très attaché à sa démo plus poppy et a dit qu’il voulait l’enregistrer, aussi – d’où [la version] Spanish Taster. Il n’était pas question de se battre à ce propos ; c’est juste que Martin voyait la chanson d’une manière différente de moi. Il voulait juste inclure sa démo sur l’album. Je ne pense pas qu’il y ait un exemple plus parfait des différences musicales entre Martin et moi”.

Ailleurs sur l’album, le compositeur et l’arrangeur étaient d’accord tandis que Wilder cherchait à améliorer les démos originales de Gore pour leur bénéfice général. C’était sur la chanson destinée à devenir le prochain single de Depeche Mode que c’était le plus apparent. Originalement programmée dans la maison d’Hampstead de Wilder, Never Let Me Down Again a été initialement restructurée pour mettre de l’emphase sur son refrain, et dans ce sens, la chanson n’était pas différene des autres sur lesquelles ils ont travaillé. Pourtant, selon Alan, « Elle se démarquait comme un single évident, et suggérait un côté à la Stripped”.

Never Let Me Down Again allait devenir un morceau qui se démarque dans le set live de Depeche Mode, grâce en grande partie à l’introduction de parties véritablement live, dont un riff de guitare distinctif de Martin Gore, traité par la suite par différents effets. Partout ailleurs, des sons d’orchestre réel et des samples de batterie Led Zeppelin costaude ont été employés pour étoffer en plus la bande sonore avec des résultats qui en font un hymne.

Quelques jours après la sortie le 24 août de la chanson, un journaleux du NME tirait déjà fort sur la laisse : “Never Let Me Down Again est bizarrement conventionnelle et je ne serais pas surpris si elle avait quelque chose à voir avec les drogues, mec : Je fais une virée avec ma meilleure amie / J’espère qu’elle me laissera pas encore une fois tomber… Sergent, les chiens sniffeurs…”

Alan Wilder a sagement refusé d’être impliqué dans le débat qui s’en est ensuit au sein des fans perplexes de Depeche Mode, mais sa position “je ne dis du mal de personne” en disait long sur le comportement de son collègue. “Je ne peux parler des chansons de Martin – j’en sais autant sur leur contenu que [vous]. Je ne peux non plus pas parler du style de vie de Martin ; vous devrez lui demander personnellement si vous voulez la réponse à celle-là”.

Smash Hits : “Les Modes martèlent si souvent les mêmes vieux airs synthétisés lourds, mais celui-là est définitivement plus mémorable parce qu’il… eh bien, il est terrifiant. Faites trembler votre colonne vertébrale sur les notes creuses, dentelées et sinistres ; faites remuer vos sandales sur la chorale terrifiante qui chante au-dessus de tout cela… La face B [Pleasure, Little Treasure] est une bonne claque disco, aussi”.

Bravo, en Allemagne, a déclamé : “Le Split Mix de Never Let Me Down Again dure 9:30 minutes énormes sur le maxi 45 tours. Pour ces oreilles, c’est le morceau de musique le plus excitant que DM n’a jamais sorti ! Le nouveau son de Depeche est inbattable, comme l’est la mélodie”.

Ironiquement, Never Let Me Down Again (Split Mix) devait être la dernière fois que le groupe ait un contact direct avec les remixes.

Alan Wilder : “C’est devenu la chose à faire, cultiver des remixes de personnes qui pourraient avoir une approche plus fraîche du boulot à faire. On était toujours très épuisés à la fin d’un disque, alors ça nous allait. Cependant, ayant vu les tentatives de certains remixers durant les 10 dernières années, je suis aujourd’hui d’avis qu’on avait raison la première fois, et que c’est probablement mieux de le faire soi-même”.

Pendant ce temps, Paul Mathur du Melody Maker a conclu : “Pas aussi pervers que leur plus grand moment (A Question Of Lust), mais qui possède toujours cette capacité incroyable de décoller les premières couches de mépris sans crier trop fort”.

Accompagnés d’un autre clip mémorable d’Anton Corbijn en monochrome, centré autour d’une voiture bulle peu orthodoxe à trois roues (poussant un téléspectateur américain incrédule à commenter sur sa roue arrière “manquante” !) qui roule dans des champs de colza, il semblait que Depeche Mode recevaient une majorité de pouces levés en l’air. Cependant, Never Let Me Down Again a échué, pour paraphraser Alan Wilder, à “traverser” ; culminant de manière décevante à la 22ème place le 5 septembre durant les quatre semaines désormais familières dans les charts.

Alan Wilder : “Je ne pense pas qu’on n’ait jamais vraiment prévu ce qui est arrivé avec chacun de nos disques. On ne savait pas vraiment ce qui viendra d’eux. Je veux dire, Martin et Fletch en particulier ont toujours été très pessimistes sur ce qu’on faisait – Oh, on ne va pas être capables de faire ça ; on est voués à l’échec, ce genre de choses. On sortait juste [un album] et on voyait ce qui se passait, on partait en tournée et espérait que tout ce passe bien”.

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Le 28 septembre, tandis que Depeche Mode étaient en répétition aux Nomis Studios à Shepherd’s Bush, pour leur plus longue tournée mondiale en date, Music For The Masses est arrivé dans les bacs britanniques. L’étonnante photographie de la pochette de l’album (du collaborateur de longue date des Modes, Martyn Atkins) comprenait trois des mégaphones rouges vifs vus pour la première fois sur la pochette et dans le clip de Strangelove, posés de belle manière sur un coucher de soleil nuageux.

Alan Wilder : “[L’]idée venait juste de notre illustrateur, Martyn Atkins – [qui a] sorti cette idée de haut parleur, mais, afin de donner le genre d’élément ironique que le titre avait, mettre ce haut parleur dans un décor qui n’avait rien du tout à voir avec les masses. C’était, en fait, l’opposé. Alors tu te retrouves avec ce truc un peu terrifiant où tu as tous ces haut parleurs ou mégaphones au milieu d’un décor qui ne va pas du tout avec, comme un désert ou n’importe”. (3)

Ainsi que le titre effronté, de l’ironie se trouvait dans le fait que le mégaphone était d’usage dévastateur dans l’Allemagne nazie, répendant le message dictatorial troublant d’Adolf Hitler. Dans un clin d’œil entendu au passé de son pays réformé, le propagandiste en chef de Kraftwerk, Ralf Hütter, a une fois déclaré que son quatuor électronique pionnier créait de la “musique de haut parleur”.

Les archirivaux NME et Melody Maker ont posté leurs critiques capitales le 3 octobre. Jane Solanas du premier est venue aux louanges plutôt qu’à l’enterrement :  “Ce que je veux savoir, c’est, est-ce que Depeche Mode sont des pervers ? Leurs exprits sont de véritables égoûts. Du moins, celui du compositeur Martin Gore, et le reste des Modes semble l’encourager, chantant joyeusement et jouant ses chansons bizarres. Martin Gore, c’est le Depeche Mode avec les cheveux blonds bouffants et le penchant pour porter des mini-jupes en cuir. Rien de mauvais là-dedans. Depeche Mode sont des musiciens pop effrontés, et cela a été la clé de leur long succès et la raison pour laquelle Martin Gore a pu développer ses étranges visions charnelles et contenter le public de Depeche Mode…

“Je suis ravie de voir que sur Music For The Masses, Gore est à son meilleur jour obsessif. Chaque morceau est impregné de pêché d’une certaine sorte. Pour moi, le récent single Never Let Me Down Again est toujours un chef d’œuvre intriguant, combinant l’homoérotisme avec l’euphorie des drogues. D’autres grands moments incluent le morceau de fermeture, Pimpf, qui sonne avec suspicion comme la bande originale du film de vampire maniéré, les Lèvres rouges ; et les deux morceaux sur lesquels chante Gore, The Things You Said et I Want You Now. Ses airs angéliques envoyent des frissons dans le dos des filles”.

Paul Mathur du Melody Maker a également relevé la fermeture instrumentale de l’album teintée d’Europe de l’Est, mais pour les mauvaises raisons. “Pimpf est une chose débile et impertinente, terminant un disque qui est sans faille, fluide, et, une fois que les lumières sont éteintes, particulièrement sans intérêt”, terminant avec une flèche du Parthe tout aussi accablante, même si confuse : “Ce n’est pas ce que j’attendais, et ce ne sera jamais la meilleure des munitions pour les disputes dans la salle de bar, mais je vais le garder sous le coude”.

Eleanor Levy du Record Mirror a fait pencher la balance en faveur de Depeche Mode en donnant quatre sur cinq à Music For The Masses. “Avec l’échec relatif de Never Let Me Down Again dans les charts singles, certains seraient prêts à enfoncer le dernier clou dans le cercueil de Depeche Mode. Pourtant le consensus commun entre autres, à part le public qui achète des disques, diront que le dernier 45 tours de D Mode est peut-être la meilleure chose qu’ils n’aient jamais faite. Le fait, c’est que ce morceau sombre et sensuel est possiblement bien trop troublant pour les fans de Rick Ashley parmi nous, et bien qu’il pointe vers un Depeche Mode plus mature, ce pourrait être le début de la fin du malentendu commun qu’ils sont un groupe synthétique pour les filles.Seul un dur échec dans les charts securisera à l’un des groupes les plus consistents de ces dernières années une place dans le mur de la crédible célébrité dans les charts…

Music For The Masses est, ainsi, un titre contradictoire. Il est loin de ce moment dans le temps, car il contient un sentiment général de mécontentement, de paranoïa et de vulnérailité, bien trop chaud et intelligent pour cette mesure de ce que veulent les masses (c-à-d les charts). Au lieu de cela, on se retrouve encore une fois à entrer dans le paysage de vulnérabilité de Martin Gore, le mieux sur les poignantes The Things You Said ou I Want You Now. La présence de Martin Gore semble même en avant sur cet album ; sa voix devenant plus riche et plus puissante, tandis que le chant de Dave Gahan descend encore plus dans le territoire de Iggy Pop – une raison pour laquelle Music For The Masses est possiblement l’album le plus accompli et le plus sexy en date”.

Toujours perfectionniste, Alan Wilder pensait qu’il y avait de la place pour des améliorations : “Ce n’est que naturel de penser qu’avec le recul, qu’on peut rendre son œuvre précédente meilleure. En fait, je m’inquiéterais si je ne pensais pas ça de chaque disque dans lequel j’ai été impliqué. C’est ce qui vous pousse vers l’avant. Black Celebration a des bons trucs dessus, mais les mixes sonnent bizarres. Music For The Masses sonne en fait mieux, mais ce n’est pas un disque aussi intéressant… Je pense qu’on avait épuisé notre quota de sons métalliques à ce moment. Il n’y a pas cent mille façons de frapper un tuyau avec un marteau”.

Pourtant Depeche Mode se souciaient toujours de “pousser les frontières du son samplé”, comme Gareth Jones l’avait une fois dit. Le son de “respiration” bizarrement sexuel introduisant I Want You Now était le produit de sampler un accordéon se gonflant et se dégonflant sans jouer de note. Autre part, le mot parlé se révélait évocateur, comme souligné par le discours russe samplé dans l’intro de to Have And To Hold, qui se traduisait par : “L’évolution des arsenaux nucléaires et des aspects socialement psychologiques de la course aux armes a été considérée dans ces rapports”. Un passage contemporain apte qui allait avec l’humeur musicale sombre que Wilder s’efforçait de faire.

De manière plus importante, ces mots involontairement bien choisis avaient rajouté un côté poignant derrière le “Rideau de Fer” où le présentateur radio Yegor Shishkovsky était l’un des premiers animateurs soviétiques à se risquer à jouer du rock occidental : “Je vais risquer de dire que Depeche Mode est le plus grand groupe en Russie depuis les Beatles. Évidemment, c’est une musique différente d’une époque différente, mais ce sont les plus grands artistes depuis les Beatles. Je n’arrive pas à trouver quelqu’un de plus grand ici [en Russie] – non seulement des groupes, mais je n’arrive pas du tout à trouver d’interprète… aucun artistes”.

Le groupe et le label avaient évidemment tous les deux de grands espoirs pour Music For The Masses ; geste sans précédents, ils ont acheté des pages entières de publicité dans le Melody Maker et le Record Mirror, coïncidant avec les critiques de ces publications, positives ou pas. La publicité du Melody Maker listait des dates britanniques de janvier 1988 – 11 au total, dont deux soirées consécutives à la Wembley Arena de Londres et un retour à la Whitley Bay Ice Rink – pour le Music For The Masses Tour à venir. Les lecteurs du Record Mirror ont été informés que des quantités limitées de l’album Music For The Masses étaient associées à un maxi 45 tours gratuit de versions remixées de Never Let Me Down Again et de Strangelove avec chaque album acheté dans les enseignes HMV du Royaume Uni.

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L’entreprise risquée de publicité de Depeche Mode a porté ses fruits puisque Music For The Masses a atteint la 10ème place des charts albums britanniques. Mute a appliqué une stratégie similaire à Hydrology, le second album solo d’Alan Wilder sous le nom de Recoil, quand une publicité placée de manière stratégique est apparue dans le numéro du 27 février 1988 du Record Mirror informant les lecteurs que le CD de Hydrology incluait aussi 1+2. La chronique de la publication de l’album de Recoil était favorable, bien qu’à contrecœur : “Je dirais qu’il a écouté trop de musique du compositeur arty avant-garde Philip Glass, parce que cela ressemble beaucoup à la bande originale de Koyaanisqatsi, avec beaucoup de pianos tourbillonnants répétitifs qui vous envoient rapidement dans une autre dimension ; il n’y a pas de chant non plus, juste l’effet vocal jeté de temps en temps, et, si on oublie les comparaisons avec Glass, c’est en fait une écoute relaxante plutôt bonne”.

Martyn Atkins a été appelé pour fournir une pochette tout aussi minimaliste pour Hydrology. “Le choix des images [dont un homme mort] venait de son interprétation de la musique, a expliqué Alan Wilder. Je trouvais qu’elles allaient bien”.

Bien que Hydrology ressemblait peu à la production de Depeche Mode, il partageait un ingrédient avec Music For The Masses – du discours étranger samplé.

Alan Wilder : “Durant le deuxième morceau, Stone, il y a un sample d’une annonce de gare française. Autre part, on entend clairement du polonais. C’était la première chose qui est sortie quand je bricolais avec le cadran de la radio. Je n’avais aucune idée de ce que ça voulais dire ; j’aimais juste le son de la langue, avec les autres langues d’Europe de l’Est, qui sonne comme de la musique à mes oreilles”.

Malgré son côté étrange, Hydrology ne pouvait espérer atteindre les ventes de Music For The Masses – et il n’était pas attendu de lui de faire cela, en tant qu’enregistrement non-pop.

Alan Wilder : “Hydrology était un cran au-dessus de 1+2. Il a été fait sur un 16 pistes Fostex. Alors il y avait des limites, mais c’était plus versatile que la première chose que j’ai faite [1+2]. recoil était toujours un aparté de Depeche Mode, sans pression sur les attentes plaçées dessus. En d’autres termes, ce n’était pas mon souci principal, et allait toujours être un antidote à Depeche Mode à quelques égards ; une manère d’apaiser les frustrations de toujours travailler au sein d’un format pop. Je n’ai rien contre le format pop, mais si je faisais quelque chose seul, il n’y avait aucun intérêt à répéter ce que je faisais déjà dans le groupe. Il était conçu pour être différent et expérimental. Ça ne faisait rien si c’était trop expérimental, parce que je faisais toujours la chose pop de l’autre côté”.

En Europe, Music For The Masses s’est vendu de manière impressionnante – surtout en Allemagne où il a culminé à la deuxième place, poussant deux tournées de Depeche Mode en 1987 et 1988. Pourtant, c’était grâce à un travail de Romain de tournée d’été épuisante mais gratifiante à la fin sur le lucratif circuit américain que l’album a grimpé à la 35ème place durant 59 semaines impressionnantes dans les charts du Billboard après sa sortie le 6 octobre.

De manière intéressante, malgré leur agenda de sorties déroutant, Strangelove et Never Let Me Down Again avaient récemment représenté les meilleurs placements dans les charts de ce côté de l’Atlantique depuis Master And Servant avec des placement respectifs dans le Billboard aux 76ème et 63ème places. Une version maxi 45 tours de Strangelove est arrivée le 20 mai, avec un 45 tuors qui a suivi la semaine suivante, et – tandis que le disque gagnait de la vitesse – un maxi basé sur cassette le 28 juillet. On a donné à Never Let Me Down Again encore une fois le traitement maxi 45 tours d’abord (le 29 septembre) suivi par son homologue plus petit le 20 octobre.

Si les actions de Sire à faire de But Not Tonight une face A avait rendu perplexe le groupe, la ressortie du label de Strangelove le 23 août 1988, sur pas moins de quatre formats – 45 tours et maxi 45 tours, cassette et mini CD – était tout aussi étonnante. De manière surprennante, le disque a battu son meilleur placement original dans les charts de 26 places. Alan Wilder : “La raison exacte de pourquoi une seconde version de Strangelove a été faite est perdue dans la nuit des temps, mais une supposition éclairée me conduirait à conclure que, comme d’habitude, ça avait probablement à voir avec la maison de disques américaine et/ou MTV qui n’était pas content [du clip] original d’Anton. Le second clip a été réalisé par Martyn Atkins”.

Depeche Mode ne pouvait à peine se plaindre d’un “vieux” disque marquant neuf semaines dans les charts singles Hot 100 du Billboard.

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Le 22 octobre, une tournée européenne a commencé, emmenant Depeche Mode en Espagne, en Allemagne, en Italie et en Suisse, ainsi qu’en France pour trois soirs consécutifs au Palais Omnisports de Paris-Bercy. Dix-neuf mille fans français ont tenu leurs briquets en l’air sans cesse tandis qu’un Dave Gahan habillé de la tête aux pieds en blanc aveuglant tournait constamment sur lui-même.

Dans sa chronique aptement intitulée “Chantage émotionnel” du 28 novembre, Helen Mead du NME a dépeint un portrait persuasif de l’événement à grande échelle qu’était devenu le spectacle sur scène de Depeche Mode : “Bougeant pour voir l’étonnant éclairage, j’aperçois une vue aérienne du public parisien, image en mouvement des transparents de biologie niveau brevet de milliers de spermatozoïdes qui se battent pour envahir l’ovule ; les queues battant violemment au rythme de la musique essayant de pénétrer le génie techno produit par trois banque de synthétiseurs remplis. L’image semble être un jeu de mots : l’idée d’une relation humaine avec tant de machinerie froide. Puis tandis que j’écoute, je me rends compte que la pensée va à l’encontre du but recherché et une goutte d’eau salée s’arrête sur ma joue et je dois admettre être victime de chantage émotionnel par un groupe de gars de Basildon. De la musique pour les masses”.

Les masses américaines et canadiennes sont venues voir Depeche Mode quand ils ont fait 12 dates en salle s’étendant du Cow Palace de San Francisco au colossal Madison Square Garden de New York et ses 20 000 sièges – avance substancielle des trois soirs précédents au Radio City Music Hall de 5900 places.

Francesca Cappuci de la radio KABC7 de Los Angeles a rempli le rapport suivant pour eyewitness News, annonçant l’arrivée du groupe à Los Angeles pour deux soirs à guichets fermés au Forum les 4 et 5 décembre : “Depeche Mode se sont formés il y a pratiquement une décennie quand les groupes à synthétiseurs surgissaient de partout. La plupart de ces groupes se sont dissipés tandis que Depeche Mode continuaient à grandir. Aujourd’hui, ils sont l’un des secrets les mieux gardés de la musique ; ils attirent énormément au box office. Depeche Mode ont atteint du succès avec très peu de passages radio, mais beaucoup de bouche-à-oreille”.

Alan Wilder a été délégué pour parler : “En fait, on est plus cultes au niveau des ventes, mais en termes de ventes de concert… on peut jouer pour autant de personnes, voire plus, qu’on ne vend de disques, ce qui est bizarre. On a certainement des adeptes hardcores qui nous suivent partout – le genre de personnes qui achètent nos disques la première semaine sans l’écouter, chaque fois qu’ils sortent. Et c’est très sain pour nous – surtout en Europe, parce que ça veut dire qu’on n’a pas besoin de compter sur les médias pour qu’ils passent nos disques, pas nécessairement”.

Quand Cappuci a dit que “une grande partie du charme de Depeche Mode vient des paroles puissantes de Martin Gore”, Wilder a répondu de manière favorable : “Il est capable d’être très honnête au sein de ses chansons – honnête d’une manière presque embarrassante, parfois. Je veux dire, il y a toute cette affaire d’âme et qu’est-ce que l’âme ? Les gens nous accusent de ne pas avoir d’âme parce qu’on utilise de l’électronique, mais vraiment l’âme, c’est être honnête, et il y a beaucoup de ça dans notre musique. Ce qu’on essaye de faire avec la musique, c’est de mettre en valeur ces paroles, mais on a toujours eu un intérêt sain à explorer la technologie et de voir ce qu’on pouvait faire avec le son”.

L’interviewer a conclu en déclarant Music For The Masses “sophistiqué et élégant dans son instrumentalisation… le groupe est peu conventionnel, et sa force vient du fait qu’ils ont un contrôle créatif complet sur tout ce qu’ils font. Ils se managent même eux-mêmes !”

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Durant les jours qui ont précédé Noël, Dave Gahan a été capable de saisir un peu de temps pour être avec sa femme Jo et leur premier-né, Jack, qui avait à peine une semaine quand la tournée européenne a forcé le fier papa à retourner sur la route.

Mais il n’y a pas eu de relâche ; dix jours après avoir triomphé dans la Grosse Pomme le 18 décembre, Depeche Mode ont lancé la sortie de leur prochain single (extrait de Music For The Masses) au son du fracas stéréophonique d’un enjoliveur qui roulait (en réalité, le sample d’un couvercle de casserole qui roule, mais juste aussi efficace).

Comme c’était souvent le cas avec les disques de Depeche Mode, Behind The Wheel n’était pas aussi direct sur le plan sonore qu’il pourrait sembler à la première écoute. Prenez, par exemple, la nature composite de sa ligne de basse proéminente, comme déconstruite oralement par l’homme responsable de sa construction. Alan Wilder : “C’était une combinaison de trois sons différents : une main frappant le bout d’un flexible d’aspirateur et puis samplé, un mediator samplé et baissé d’un ton, et un MiniMoog pour le fond”.

Malgré des longueurs aussi extraordinaires, il est malheureux que le remixeur américain, le bandit à louer Shep Pettibone (qui a travaillé plus tard avec Madonna), n’a pas réussi à lui rendre justice sur son remix maxi 45 tours de Behind The Wheel, à la grande consternation de Wilder : “Je ne sais pas qui l’a suggéré – probablement Sire. Il semble lui manquer une énorme sélection de fréquences moyennes sur sa console de mixage, celles avec conneries écrit sur les boutons”.

Les paroles absorbantes de Gore comprenaient des chants exemplaires, avec l’auteur doublant chaque ligne de Gahan pour créer un sens ajouté d’urgence pour une chanson sans refrain. Les fidèles des Modes ont répondu en poussant le disque à la 21ème place des charts singles britanniques.

Alan Wilder : “Je ne dis pas que commercial est un sale mot, mais Depeche Mode a toujours été évidemment une aventure commerciale, entre autres. Je pense qu’ils y a toujours une pression sous-jacente ressentie par DM pour sortir des tubes, mais, heureusement, Martin est un songwriter pop naturel alors on ne pourrait dire que ça a été forcé. Avoir des tubes était important pour le groupe. Les chansons de Martin fonctionnent clairement dans les limites d’un format pop – couplet/pont/refrain/pont, etc.”.

La face B de Behind The Wheel était, avec surprise, un standard rock, choisi non pas pour ses connotations véhiculaires appropriées, mais parce que le stock de chansons de Gore s’était apparemment tari. Route 66 (4) semblait recueilir plus d’attention, comme la chronique de Bob Stanley dans le NME du 2 janvier 1988 en était la caractéristique : “Behind The Wheel est de la nourriture Mode standard, la voix de Dave Gahan est pratiquement monotone tandis qu’il s’étend sur les galipettes sur la banquette arrière – la face B est entièrement un autre jeu de balles. Route 66 ! Elle a été complètement Modéifiée avec des bruits de clavier scintillants, mais il a toujours une ligne de guitare haletante ici qui essaie de s’échapper. Surprenant”.

Ce que Stanley n’a pas remarqué dans son excitation, c’était que la reprise de Depeche Mde incorporait astucieusement le pont de Behind The WheelRoute 66 a également été soumise à du bricolage sous le capot pour le maxi 45 tours de Behind The Wheel, bien que cette fois Wilder approuvait réellement le résultat : “La version des Beatmasters [de Route 66] est la plus fun et va bien avec la chanson. Le groove est aussi meilleur que le [mix] original”. (5)

La continuité a été maintenue plus loin dans la dernière cabriole en date de Anton Corbijn en noir et blanc : l’Italie, la mobylette, les filles… et encore plus de mégaphones.

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(1) Ayant été réprimandé pour la non-commercialité de ses démos pour l’album précédent, Black Celebration, le titre peut être une blague sarcastique de Martin Gore.  

(2) Les autres morceaux additionnels étaient Agent Orange, l’instrumentale qui était apparue sur le maxi 45 tours édition limitée de Strangelove, avec deux autres morceaux qui devaient apparaître sur le prochain maxi 45 tours de Depeche Mode – Never Let Me Down Again (Aggro Mix) et Pleasure, Little Treasure (Glitter Mix)

(3) Dans le clip du tube du Top 5 britannique d’octobre 1988 de Erasure, A Little Respect, l’ancien collègue Vince Clarke recouvrait de peinture en bombe un symbole qui ressemblait remarquablement au logo de haut parleur qui ornait la pochette de l’album Music For The Masses. “Je pense que c’était juste Vince qui s’amusait, rien de plus”, a commenté Alan Wilder. 

(4) À l’origine enregistré par le jazz man Bobby Troup en 1946, ce péan classique à la plus célèbre nationale américaine, a été enregistré par d’innombrables artistes, plus notamment Chuck Berry, et les Rolling Stones sur leur premier album éponyme de 1964. 

(5) Sans doute qu’il allait bien pour Daniel Miller aussi, car les Beatmasters étaient les premiers affiliés de Mute Records, trio de groupes dance explosant dans les charts de Rhythm King. Leur soi-disant hymne à la house, Rok Da House, est entré à la cinquième place le 9 janvier 1988 – ironiquement le même jour où Behind The Wheel de Depeche Mode est sorti des charts. 

Traduction – 12 octobre 2009

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