Stripped – Chapitre 23

Éperdument dévoués

“Dave est allé vivre à LA après la tournée [World Violation…], et au moment où on s’est réunis de nouveau après une bonne pause pour commencer à travailler sur Songs Of Faith And Devotion, les choses avaient certainement changé”.
– Alan Wilder, 2001

À l’Ouest, Dave Gahan a été aspiré dans le “rêve américain” : une grande maison sur les collines hollywoodiennes ; la “machine de rêve” quintessentielle – une puissante Harley Davidson… tout le tralala. J’étais définitivement [plus à l’aise] à Los Angeles, a-t-il déclaré. Je suis rapidement entré dans ce style de vie, et, pendant un moment, c’était la grosse rigolade”.

Libre de mener ce qu’il a plus tard appelé un “style de vie très égoïste”, Gahan a fait la fête plus que jamais ; en partie grâce aux liens d’affaire de sa nouvelle compagne Teresa Conroy, il était accueilli les bras ouverts dans la fraternité rock établie de LA, groupe select pour qui la prise de drogue, sinon la dépendance à l’héroïne, était quasiment de rigueur – endroit dangereux où habiter pour un individu riche dans un état émotionnel hautement tendu. Comme l’a dit le chanteur : “Je pouvais m’écrouler sur moi-même, mais je pouvais toujours aller là où je voulais : C’est David, c’est David ! Viens David ; voici une banquette – tu veux quelque chose de spécial ? Eh bien, ouais, en fait !

En avril 1992, après ce qui a été rapporté par les tabloïdes britanniques comme “une sale affaire de divorce d’un an”, Gahan a finalement lié le nœud du mariage avec Teresa Conroy. Comme Gahan, Conroy consommait aussi de l’héroïne, quelqu’un qu’il a plus tard décrit comme “… une partenaire avec qui je pouvais jouer, de toutes les manières, sans être jugé, parce qu’elle prenait pas. En fait, elle ne m’a pas fait prendre de l’héroïne ; [mais] elle m’a donné l’opportunité de réessayer. On a rapidement fait un pacte sur le fait que jamais je ne consommerais de manière intraveineuse ; mais, bien sûr, [avec moi] camé et menteur, il n’a pas tenu le coup longtemps”.

La noce a eu lieu dans l’environnement quelque peu tapageur de la Graceland Chapel au 619 Las Vegas Boulevard, dans le Sud de Las Vegas, avec un sosie de Elvis Presley de rigueur en invité d’honneur. (1)

“Bien sûr, tout était plastique – du faux”, a confirmé Dave à Jennifer Nine. “Ils n’ont même pas allumé les bougies dans la chapelle, parce qu’elles étaient juste là pour faire joli. On était un peu énervés ! Et ils avaient un faux Elvis qui, on pensait, allait chanter une chanson, mais il a fini par faire un set d’une demi-heure. À la fin, j’ai dû lui dire : Est-ce que quelqu’un peut l’envoyer chier ? Je veux me marier ! Et ainsi, la mère de Teresa, Diane, a en quelque sorte dit poliment : Euh, excusez-moi, Monsieur Elvis, pensez-vous que vous pourriez arrêter, parce que je pense qu’ils veulent se marier. Et alors il dit : Eh bien, j’en ai encore une, chérie. Et il se penche vers moi et me demande : Vous ai-je offensé en quelque sorte ? Et j’ai répliqué : Non, continue mon pote ; fini et casse toi !

Aucun collègue de Gahan n’était présent pour l’occasion de mauvaise augure – même si cela aurait été le cas, ils n’auraient à peine reconnu la parodie maigre comme un clou d’une rockstar américaine archétype qui s’approche de la trentaine, qui se tenait à l’autel. C’est sans surprise que son ex-femme et son fils n’étaient pas présents. Le chroniqueur du Daily Mirror, Rick Sky, l’homme qui avait contribué à transformer Vince Clarke en reclus dix ans plus tôt, a cité le remarié Gahan disant : “Mon père m’a quitté moi et ma petite sœur quand on était très jeunes et j’ai fait la même chose à Jack. Ça faisait longtemps que j’étais avec Joanne, et on est de bons amis, mais ce qui est arrivé était 90% de ma faute. Mais je suis déterminé à voir Jack autant que je peux. Heureusement, Joanne comprend”.

Tandis que Gahan divisait son temps (et son argent) entre sa cour de récréation à Hollywood et son appartement au bord de l’eau à Wapping, partagé avec Daryl Bamonte, Gore, Fletcher et Wilder ont entendu peu – et ont vu encore moins – de leur chanteur errant. Pendant ce temps, Daniel Miller a fourni une épaule sympathique sur laquelle le perturbé Gahan se penchait quand, durant ses visites londoniennes peu régulières, le chanteur caressait l’idée de jeter l’éponge. “Plusieurs fois quand j’arrivais à Londres, surtout pour voir Jack, mon fils, je sortais manger avec lui, et il disait : Écoute, je sais que tu subis beaucoup de choses en ce moment, mais tu dois continuer et tu dois te motiver”.

C’était durant une de ces rencontres que Miller a reconnu l’étendue de la consommation de drogues de Gahan : “Je ne l’avais pas vu depuis longtemps – il vivait aux States ; c’était une période de pause – puis il est venu en Angleterre pour une raison ou une autre et il est venu dans mon bureau me dire bonjour, et il avait une mine terrible. Il avait perdu des kilos. Il avait l’habitude de faire cette imitation géniale d’une victime du rock – très marrant, mais il est entré dans le personnage, et c’était là que je me suis rendu compte”.

Quand Phil Sutcliffe de Q a plus tard sondé Gahan quant au pourquoi il a commencé à prendre de l’héroïne, Gahan a dit : “Eh bien, ce n’est pas un secret [que] je buvais et me droguais depuis longtemps – probablement depuis mes 12 ans ; gobant deux phénobarbitaux de ma mère ça et là ; du hash ; des amphétamines ; la coco a suivi. L’alcool était toujours là, main dans la main avec les drogues. Puis tout à coup, j’ai découvert l’héroïne, et je mentirais si je disais que ça ne m’étais pas senti comme jamais auparavant. J’ai en fait joué avec [l’héroïne] à Basildon, mais dès le moment où je me suis injecté pour la première fois, je voulais me sentir comme ça tout le temps et je ne pouvais pas. Après quelques mois, je chassais toujours cette extase et je ne l’ai jamais retrouvée. Je maintenais juste une existence très triste. Comme prévu, je commençais à trembler – le matin, l’après-midi, le soir ; j’avais besoin de mon shoot”.

Miller a confirmé que la consommation de drogue n’était pas nouvelle pour le contingent de l’Essex : “Je pense que les gens ont le droit de faire ce qu’ils veulent – jusqu’à un point, mais je pense juste que sur le plan créatif, le plus souvent ça a une attitude négative. Ça affecte tant de gens de tant de manières différentes qu’on ne peut pas avoir vraiment une philosophie générale à ce propos. Mais, surtout quand ils [Depeche Mode] étaient plus jeunes, je me sentais assez protecteur envers eux – je voyais leurs parents et tout ; je me sentais comme leur chaperon, dans un sens. Mais ils prenaient de la drogue avant que je les rencontre, comme les mômes en Essex sont [sujets à faire], alors ce n’était pas quelque chose qui est arrivé quand ils ont commencé à devenir célèbres.

“Le truc, c’est qu’ils connaissaient mon attitude envers les drogues, alors ils faisaient toujours attention à ne rien faire devant moi. Ce n’était pas une grand [part] de leur vie en studio, honnêtement, mais sur la route, c’est devenu de plus en plus évident que ce l’était. J’ai senti que c’était devenu un vrai problème quand j’ai vu Dave à ce moment”.

* * *

Le World Violation Tour avait recueilli une réputation d’avoir été une affaire hédoniste propulsée par des substances illicites.

Martin Gore : “Il y avait différents niveaux de débauche pour tous les membres différents du groupe. Je pense que j’étais pire sur le Wordl Violation Tour – il y avait beaucoup d’ecstasy qui traînait. On sortait tout le temps et en prenait beaucoup”.

Andy Fletcher : “L’Ecstasy n’a jamais été mon choix de drogue – la plupart des gens qui ont moins de 40 ans en ont goûté. Mais, on ne sais jamais, je pourrais être premier ministre un jour ; je l’ai juste goûté et je l’ai recraché !”

C’était un Gore fatigué qui se terrait dans sa maison de Harpenden à la fin du World Violation Tour avec sa petite-amie texane enceinte, Suzanne Boisvert, qu’il avait rencontrée à Paris.

À cette époque, Gore a été comme on peut le comprendre choqué par la révélation que l’homme qu’il avait toujours cru être son père était, en fait, son beau-père. “Martin m’a appelé un jour et m’a sorti un coulis de paroles, a révélé un vieil ami d’école, mais avec Martin, on doit attendre d’arriver à un moment où on peut dire : Alors, qu’est-ce qui s’est passé ? Et il a dit que Suzanne portait leur premier enfant, Viva Lee. Et puis il a dit : Tu ne vas pas croire ça, mais mon vieux est black ! En gros, la mère de Martin est sortie avec ce gars – ils n’étaient pas mariés – et Martin a été le rejeton de tout ça.

“Mais le plus étrange, c’était que son surnom à l’école était Curly – à cause de ses boucles d’or… et il a une longue et grosse bite brune. On allait à la piscine à l’école, et en se changeant on pensait : Putain !  C’est pas la même couleur que la mienne ! En tout cas, la seule raison pour laquelle la mère de Martin lui a dit [à propos de son père biologique], c’était que Suzanne, qui est une Texane blanche, était enceinte, et qu’elle ne voulait pas qu’ils aient un petit bébé noir sans le savoir ».

Tandis que Gore restait ostensiblement caucasien d’apparence, il y avait la possibilité que l’union mixte de ses parents ait un profond effet physique sur sa progéniture, Viva Lee Gore est née le 6 juin 1991 ; en l’occurence, de tels soucis se sont avérés dénués de tout fondement.

Le père biologique de Gore avait été GI américain stationné au Royaume Uni où il a rencontré la mère de Martin avec des conséquences imprévues. La même source anonyme révèle que bien que Martin a fini par rencontrer son père, en lisant entre les lignes, ce n’était pas dans des circonstances plaisantes : “Il vivait dans une cabane à fusils, quelque part dans le Sud profond. Il vivait toujours avec son propre père – Grand-papy – et je pense qu’il y avait un élément de ce gars ayant retrouvé son fils longtemps perdu, qui était célèbre et très, très riche. Je me souviens de la dernière conversation bourrée qu’on a eue et j’ai dit Est-ce que tu as gardé le contact avec ton père ? et Martin a dit : non, ça n’a pas marché à la fin« .

L’opinion de Gore sur le sujet était comme on peut le comprendre brusque : “Ça fait remonter des traumatismes familiaux ; je n’arrive pas à croire que c’est sorti – c’est l’une de ces choses dont je préférais ne pas parler”.

Sur une note plus positive, Gore avait commissionné la construction d’un studio d’enregistrement privé, situé dans un double garage attaché à sa maison du Herfordshire du XVIIème siècle. Conçu et construit par Kevin van Green de Electric Eel Studio Design, il comprenait un placard personnalisé qui abritait trois synthétiseurs ARP 2600. Gareth Jones a visité plus tard le lieu de travail, qu’il a décrit comme étant “une pièce plaisante et spacieuse, avec beaucoup de lumière et une vue sur les arbres et la campagne”.

Pendant ce temps, Andy Fletcher et sa petite-amie de longue date, Grainne Mullen, célébraient la naissance de leur premier enfant, Megan, le 25 août 1991. Gore et Fletcher – une fois décrits en blaguant comme Tweedle-Dum et Tweedle-Dee par Robert Marlow avec “leur propre sens de l’humour” – ont tiré avantage de leur première pause sérieuse pour s’ajuster à un style de vie plus orienté famille.

Fletcher avait aussi ouvert un restaurant, Gascoigne’s au 12 Latimer Terrace dans le Nord Ouest de Londres, une aventure qu’il a plus tard décrit comme étant : “Un très petit restaurant de communauté ; je ne fais pas du tout de publicité. Il y a 15 ou 16 employés, et 80% de nos clients sont locaux – comme je ne sais faire que des œufs brouillés, c’est très difficile ! Ça ne rapporte pas grand chose – ça serait sympa si ça rapportait peu ! J’y mange à peu près six fois par semaine étant donné que j’habite à 70 mètres”.

Malgré l’attitude modeste de son propriétaire, de nombreux critiques culinaires plaisamment surpris sont tombés sur ses délices culinaires, dont un qui a feint la surprise devant le fait que leur hôte était une pop star, ayant été sous la méprise que l’établissement appartenait au champion de football de Newcastle, Paul Gascoigne ! Non pas que le propriétaire de Gascoigne’s n’était hostile à une ou deux pressions – ou à tenir des réunions pour attirer les riches et célèbres.

Robert Marlow : “Vince n’est pas une personnalité aussi en vue que Fletch ou Martin, mais il m’a toujours demandé comment j’allais. Il est très impliqué dans ma vie, tandis que chaque fois que j’étais invité au restaurant de Fletch, près de Abbey Road, je pensais : Pourquoi suis-je là ?

“Il y avait un moment où la femme de Andy était bonne amie avec Patsy Kensit, alors Patsy et [le chanteur d’Oasis] Liam [Gallagher] étaient parfois là – et aussi des gens comme [le fottballer anglais] Gary Lineker, alors j’ai brusquement pensé : Ce n’est pas comme avant. C’est arrivé à ce moment où j’allais à toutes ces fêtes et que je ne connaissais plus personne, et – bien que les anciens visages étaient toujours là – je n’avais rien en commun avec ces gens ; j’avais eu mon quart d’heure de gloire.

“Pendant les 10 premières années [du succès de Depeche Mode], je disais que tout était cool ; tout était normal. Aujourd’hui, tout ce que c’est, c’est que quelqu’un vient sortir leur chien pour eux [Andy et Grainne] ! Je n’aurais jamais pensé que la célébrité attirerait, mais c’est combien les choses ont changé…

“Il y a un extrait génial du livre de Hanif Kureishi, Le Bouddha de Banlieue, où le personnage central/l’ami d’école du narrateur devient une grande popstar – un peu comme David Bowie dans les années 1970, et il envoie son ami à New York. Je ne peux le citer mot pour mot, mais ce qui est resté dans ma tête, c’est que ce personnage le voulait comme miroir de son ancienne vie. nous tous, si quelque chose de fantastique nous arrive, on veut que nos anciens potes le voient – non pas leur enfoncer la tête dedans, mais si tu traînes avec des personnes qui sont au même niveau, et qui ont fait les mêmes choses, alors c’est normal. Alors j’ai rempli ce rôle un peu à contre-cœur. Je pense que c’est un peu dommage, et je suis reconnaissant d’être toujours bon ami avec mon vieux Vince qui n’est pas du tout comme ça.

“Mais Depeche Mode jouaient devant 70 000 personnes, et vendaient tant de millions de disques de part le monde, alors je défie quiconque dans cette position privilégiée de rester les pieds sur terre, d’une manière”.

Malgré s’être donné beaucoup de mal à faire remarquer qu’il ne garde aucune rancune contre Depeche Mode, Marlow avait raison sur un point : la célébrité a pratiquement toujours un inconvénient qui l’accompagne, comme Gahan avait douloureusement appris.

* * *

En maintenant un profil discret, les pieds d’Alan Wilder sont restés sur terre tandis qu’il épousait sa petite amie de longue date Jeri Young en août 1991. Le couple a abandonné Londres pour une grande propriété de campagne située dans la campagne du Sussex près de Horsham.

Alan Wilder : “Je n’ai jamais fait d’achat irréfléchi. J’ai beaucoup investi dans la musique via mon studio et tout son équipement, et aussi dans ma maison et ma propriété. J’essaie de garder une perspective sur la richesse, parce que tout aurait pu être si différent – on devrait toujours se souvenir combien on est chanceux”.

La maison avait une autre propriété plus petite. Datant du milieu du XIXème siècle, elle avait souffert de modifications mal effectuées dans l’intérim, mais, pendant six mois, une équipe d’experts de maçons, électriciens et ouvriers ont converti la maison en studio d’enregistrement privé. Wilder désirait “un espace vivant et respirant, conçu pas nécessairement pour le son contrôlé, mais avec le côté atelier, avec beaucoup de lumière”.

Durant la conversion de la cave, la découverte fortuite d’une cuve d’eau sous-marine désaffectée a résulté en une cabine de percussions unique, à laquelle on accède via une trappe glissant dans le sol. À l’étage, un escalier en spirale menait à une chambre en mezzanine, avec une cuisine et une salle de bain toutes équipées en acier. L’individu chargé de passer le câblage pour l’équipement d’enregistrement – dont une console de mixage de taille Soundtracs L3632 à 36 canaux et des moniteurs Dynaudio, suspendus, quelque peu inhabituellement, par des chaînes à la structure en acier aérienne – était Kevin van Green de electric Eel Studio Design, qui venait de concevoir le home studio (moins frappant) de Martin Gore. “Le studio d’Alan Wilder [était] à l’origine une maison à trois étages, dépouillé de ses murs et sols intérieurs pour créer un espace vaste”, a commenté van Green.

Ayant développé un intérêt enthousiaste pour le design d’intérieur et l’architecture, The Thin Line, comme Wilder a baptisé son espace de travail, reflétait plus le caractère de son propriétaire avec l’inclusion d’une suite de trois pièces créée à partir des sièges de sa première voiture, un Citroën DS vintage de 1974. “Ça a toujours été mon intention de concevoir le studio, alors on pouvait simplement retirer tout le matériel [d’enregistrement] et se retrouver avec un bâtiment non cloisonné vraiment intéressant. J’aime particulièrement la manière dont la galerie de la chambre donne sur toute la pièce ; et les fenêtres aux volets fermés toutes en hauteur donnent une vue fantastique. Le seul problème que j’ai, c’est qu’en hiver, c’est froid la vache !”

En fait, la propriété rurale chère n’était pas la première fois que Wilder s’était installé en dehors de Londres, ayant possédé auparavant une pittoresque maison à douves dans le Suffolk : “C’était à Felsham, près de Bury St Edmunds, mais je ne l’utilisais pas beaucoup alors je l’ai vendue. J’ai quitté Londres à l’origine parce que je voulais plus d’espace et un environnement plus sympa dans lequel vivre. Vivre dans la City ne me manque pas du tout, bien qu’il y a des inconvénients à vivre à la campagne – à savoir, le manque de restaurants, d’événements culturels, de bars et d’endroits faciles d’accès pour faire ses courses”.

Utilisant l’avantage de ce qu’il avait nommé “la première vraie pause que le groupe avait pris en 10 ans”, en janvier 1991, Wilder a commencé – “enregistrant en utilisant mes machines Akai DR1200” – le troisième album de Recoil dans sa maison de Cricklewood, et a produit le quatrième album de Nitzer Ebb.

Fraîchement débarqués d’une longue session de pré-production (principalement des programmations) à Sync City de Londres, en juin 1991, Dave Kendall de MTV a capté Nitzer Ebb et Wilder aux studios Konk, où le membre de Nitzer Ebb, Bon Harris a révélé qu’il y avait eu “quelques problèmes de staff au début du temps passé en studio”. Son partenaire, Douglas McCarthy a résumé cela comme étant “des problèmes de possession de studio”. (Apparemment, tout n’allait pas bien au sein du camp Kinks.)

Oon Harris : “On s’intéresse de plus en plus à mettre des éléments plus mélodiques dans la musique, et Alan semblait une assez bonne personne à choisir pour cette direction, parce qu’on pouvait si facilement se perdre dans la mélodie et ainsi de suite. Alan semblait une bonne personne pour le boulot, on l’a approché et il voulait le faire”.

Alan Wilder : “Il ont insisté, plutôt qu’ils m’ont approché ! Ils ont beaucoup tourné avec nous, alors on s’entend très bien. Ce problème avait déjà été surmonté avant qu’on commence, alors on savait qu’on serait capables de bien s’entendre. La manière dont on approche la fabrication de musique est assez similaire – une fois qu’on entre en studio avec de l’électronique, et ce qu’on a. Mais vraiment, je pense, qu’il y a un grand fossé entre les deux groupes parce que les chansons dictent la direction du groupe à la fin. La manière dont ils écrivent les chansons, et le sujet, est très différente de la manière dont nous, dans Depeche Mode, on écrit les chansons”.

Malgré un départ à l’avenir incertain tandis que les Kinks faisaient disparaître leurs différences, et une affirmation dûment diffusée par MTV que l’album était “comme prévu au programme”, Wilder a plus tard laissé passer que finir Ebbhead de Nitzer Ebb (sorti en octobre 1991) s’est avéré problématique, particulièrement en utilisant des musiciens de sessions médiocres sur I Give To You et Come Alive : “Les cordes, cuivres et marimbas ont tous été enregistrés en direct – arrangés et conduits par Andrew Poppy. Une partie des interprétations – principalement les cuivres – étaient si bâclés qu’on a dû les mettre dans des sampleurs après afin de les réaccorder et les mettre en rythme. [Ce] n’est pas rare lorsqu’on emploie des musiciens classiques.

“On a commencé [Ebbhead] sans Flood, dans une pièce de programmation. Bon et Doug avaient déjà de très vagues idées de certains morceaux mais à part ça, la programmation et l’enregistrement de l’album était la même chose. Flood nous  a rejoints vers la fin de la période de programmation et est reparti pour travailler sur le disque de U2 [Achtung Baby] peu avant la fin de la période d’enregistrement. J’ai fini l’enregistrement et mixé l’album avec Steve Lyon aux studios Konk. C’est un rêve de travailler avec Doug – très ouvert et voulant être flexible sur tous les plans. Bon est plus protecteur et sujet à exagérer une bonne idée. Je ferais remarquer que malgré ça, je m’entends toujours très bien avec Bon. Généralement, j’ai trouvé leur attitude envers être quelque chose que je respecte – ils étaient tous les deux très consciencieux et travailleurs, et voulaient obtenir le meilleur absolu du disque”.

En réalité, Ebbhead n’a pas bien marché », après sa sortie britannique du 30 septembre. Wilder n’était pas complètement soucieux du résultat décevant, déclarant simplement, “Je n’avais pas de grandes attentes que le Ebb deviendrait brusquement incroyablement populaire”.

Néanmoins, Nitzer Ebb a reçu des bénéfices quand les singles Godhead et Ascend ont tous les deux grimpé dans le Top 50 en 1992.

Alan Wilder : “Je suis contente de l’avoir fait, mais ça s’est tendu vers la fin. Je n’étais pas désolé de voir le projet fini et je dois l’admettre, ça m’a rendu très hésitant à m’embarquer dans d’autres jobs de production – je suis musicien d’abord et avant tout, et j’ai trouvé le rôle de produire la musique de quelqu’un d’autre sapeur d’énergie et ultimativement, peut-être, peu satisfaisant. Ça ne veut pas dire que je n’ai pas aimé, je préferre juste me concentrer sur mes trucs”.

* * *

Le bourreau de travail Wilder avait à peine mis un terme à l’expérience Nitzer Ebb vidante à Konk qu’il ne retournait dans ce même studio en octobre pour passer deux mois à mixer son propre album de Recoil, Bloodline. Retournant la faveur, Douglas McCarthy a chanté sur une reprise de Alex Harvey, Faith Healer, qui est sortie en premier single de Bloodline(2)

Tandis que les deux albums précédents de Recoil étaient résolument des efforts instrumentaux et expérimentaux, Wilder cherchait à faire de Bloodline une affaire plus commerciale en recrutant des chanteurs et paroliers extérieurs pour compléter ses paysages sonores.

“Je n’ai certainement pas ressenti de pression pour le rendre plus conventionnel, mais je pensais que je ne pouvais continuer à produire de la musique instrumentale tout le temps” a dit Wilder à Bill Bruce de Sound On Sound, en 1998. “J’en arrivis souvent à un point où je pensais qu’il manquait quelque chose à la musique, et je résonnais que si je devais progresser avec d’une manière, je devais y apporter quelque chose d’autre – que ce soit du chant ou n’importe – pour rehausser ce qui était en gros des bandes rythmique. J’ai apporté le chant, mais je ne le voyais pas de la manière dont j’aurais dû le faire ; je pense qu’il me manquait l’énergie. À la fin de cette année [1991] – tout en produisant un album de Nitzer Ebb – j’étais vidé d’énergie. Je pense que l’album en souffre – surtout le chant. Il est là comme pratiquement des atmosphères de dernière minute, plutôt que pour en faire de vraies chansons”.

Heureusement, les critiques de Wilder n’étaient pas d’accord lorsqu’elles ont accordé leurs notes, Vox étant particulièrement flatteur : “Bloodline indique que Alan Wilder est une figure clé du développement de Depeche Mode, de leurs comptines pop des débuts au style le plus sombre aux textures lourdes qu’ils ont adopté au milieu des années 1980. Wilder concocte des paysages sonores cinématographiques, des choses à combustion lente qui glissent dans une grandeur mélodramatique via une porte dérobée ; Douglas McCarthy empoisonne Faith Healer de Alex Harvey ; Toni Halliday de Curve trempe Edge To Life et Bloodline dans de la paranoïa somnolente ; Electro Blues For Bukka White a le bluesman décédé depuis longtemps, White, qui marmonne et gémit sous un bourdonnement oriental qui fait son éloge en l’ignorant en même temps…”

Select montrait tout autant d’enthousiasme : “Fouillant profondément le monde de la technologie, Bloodline lance ses symphonies électroniques sur les styles individuels disparates de ses chanteurs invités. Le résultat est une concoction souvent excellente qui passe du titre phare refroidissant mené par [Toni] Halliday (dur, froid, sinistre) au fou, mais inspiré Electro Blues For Bukka White (chaud, bizarre, merveilleux) – un cas glorieux de Nous avons la technologie !

Alan Wilder a expliqué comment il a mis cette technologie en action, en ressuscitant le bluesman décédé, comme c’était le cas : “L’enregistrement original de Bukka [White] est pratiquement a cappella – il chante en fait sur une guitare acoustique, mais la guitare est à peine inaudible. Ça semblait ainsi être une source très intéressante de matériel pour essayer d’en faire quelque chose d’inhabituel avec. J’aimais aussi le son de sa voix – particulièrement quand il parle dans sa langue / son bredouillement unique. Certaines lignes ont été samplées, restructurées et puis filtrées pour éliminer la grande partie du sifflement”.

Remarquable pour son omission des chroniques était un jeune Américain du nom de Moby (né Richard Hall) qui, en octobre 1991, venait d’avoir un tube inattendu dans le Top 10 britannique avec Go, tranche dansable de techno, fondée sur un sample extrait du thème de la série surréelle de David Lynch, Twin Peaks. En 1992, les chroniqueurs ne pouvaient pas prévoir que le musicien caméléon se développerait en un chanteur/compositeur hautement considéré, qui, ironiquement, signera chez Mute Records et en fin de compte se vendra mieux que Depeche Mode.

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La pause prévue s’est avérée être incroyablement remplie pour Wilder, qui a en quelque sorte trouvé du temps pour assister la compilation de deux coffrets au package luxueux produits à 5000 exemplaires sur les (désormais défunts) Alfa Records au Japon (en conjonction avec Mute) sortis en avril 1991.

Alan Wilder : “J’étais impliquée dans la compilation et le mastering de la musique, et Martyn Atkins était en charge de la pochette. C’est les Japonais qui ont demandé ça à la base, étant donné que leur marché particulier semble désirer ce genre de compilation avec beaucoup de packaging – quelque chose qui ne marche traditionnellement pas tant que ça en Europe et aux États-Unis. Elles  étaient chères à produire, ce qui nécessitait un prix de vente élevé – encore une fois, quelque chose qui ne va pas pour d’autres marchés”.

Comme l’a noté Graham Needham de Record Collector en juillet 1991 : “Le premier coffret (X1) contient trois disques de remixes maxi 45 tours et un de mixes dits Strange Mixes. Le second coffret (X2) contient un disque d’instrumentaux, un de faces B et deux disques de morceaux live. C’est sympa de voir que les huit disques ont été séparés en deux coffrets et rendus disponibles séparément, et aussi que les coffrets ont bien été séparés, offrant de la musique différente dans chacun.

“Le premier coffret est de bon augure pour les fans de musique dub/orientée dance et le second se prêtera à ceux qui sont intéressés par les morceaux live et moins orthodoxes des Modes. Le nombre de morceaux sur les huits CD s’élève à 79, et en ce qui concerne les coffrets, c’est assez bon. À environ 40£ par coffret, cela fait en gros une Livre par morceau. Sur cette simple base, les deux coffrets ne sont pas un mauvais investissement”.

Le temps a donné raison à Needham, car un dévoué de Depeche devra payer, au moins, trois fois ce prix – si un exemplaire venait à être mis en vente.

* * *

“Après cette dernière tournée [World Violation], on a décidé de faire une pause pendant environ un an”, a dit Martin Gore à Dave Kendall de MTV en juin 1991. “Mais on nous a sorti du repos par l’envie en nous demandant un morceau pour un nouveau film de Wim Wenders [Bis ans Ender der Welt – sorti en version éditée aux États-Unis sous le nom de Until The End Of The World – Jusqu’au bout du monde], alors on a fait ça pendant trois ou quatre jours, et maintenant on se repose à nouveau [avec l’idée de] possiblement revenir en studio à un moment l’année prochaine”.

Alan Wilder : “Martin a évidemment écrit la chanson, mais la bande rythmique de Death’s Door était principalement mon œuvre. Les parties de guitare étaient samplées, mais pas de la démo. J’ai retravaillé la guitare de Martin enregistrée auparavant pour Blue Dress et utilisé des prises inédites de pedal steel guitar jouée par Nils Tuxen, qui ont été enregistrées directement sur DAT quand on l’a employé pour jouer sur Clean. À chaque fois qu’on a fini un album, on a toujours taché d’enregistrer chaque son individuel sur DAT.

“Dave ne voulait pas venir en Angleterre juste pour faire ce [seul] morceau, alors j’ai travaillé dessus moi-même dans mon home studio et appelé Martin pour faire le chant plus tard. Il a été mixé avec Steve Lyon à Konk”.

Et le film en lui-même ? “J’avais vu les Ailes du désir [le film précédent de Wender], ainsi que l’Angoisse du gardien de but au moment du penalty (pas un classique) et quelques autres. Jusqu’au bout du monde était son film le plus attendu, mais il tombait un peu à plat. Il y avait de bons moments, mais il était définitivement trop long – l’ennui s’installe au bout de deux heures.

“On n’a pas payé attention au concept ; ni personne d’autre apparemment, bien qu’il y ait un morceau sur l’espace et les humains de la Terre, je pense !”

La contribution de Depeche Mode, Death’s Door, est sortie sur la bande originale sur Warner Brothers, Until The End Of The World: Original Motion Picture Soundtrack, aux côtés de U2 (qui fournissait le titre phare), Talking Heads, et REM, entre autres. Comme une critique en ligne a commenté : “Simplement dit, la bande originale réunissait la crème de la crème musicale : les morceaux d’ouverture et de fermeture à la charge de Graeme Revell/David Darling ; les changements d’humeur à la charge de Talking Heads, Depeche Mode, Elvis Costello, Lou Reed, REM, Nick Cave, Patti Smith, Daniel Lanois et U2, entre autres ; et l’une des plus belles chansons de tous les temps, Calling All Angels par la Canadienne Jane Siberry, en cerise sur le gâteau”.

Alan Wilder : “On n’a jamais taillé consciemment notre musique vers ce qu’on pensait que les gens aimeraient. C’est mieux de rester fidèle à ses principes et de garder son intégrité”.

Pendant ce temps, sur MTV, Andy Fletcher a esquivé la question “quand peut on attendre un nouvel album de Depeche Mode” avec une réponse qui n’engageait à rien : “Je ne pense pas qu’on projette d’aller en studio avant janvier, au moins – probablement un peu plus tard.Tout dépend si [Martin] sort des chansons ou pas”.

Fletcher a quand même laissé passer qu’ils projetaient un exercice de repackaging : “Ici [au Royaume-Uni], beaucoup de nos premiers singles n’ont pas été sortis en CD, alors je pense qu’il y a un projet de les sortir – avec un coffret aussi, alors ça devrait être assez bon”.

En l’occurence, trois coffrets – CD Singles Box Set #12 et 3 (chacun comprenant six maxis) – ont été sortis respectivement les 19, 26 novembre et 3 décembre en édition limitée par Sire/Reprise aux États-Unis.

Alan Wilder : “J’ai beaucoup contribué au contenu. Ce n’était pas censé être un set complet – juste les morceaux préférés/les meilleurs de l’époque”.

Après cela, tous les 22 singles de Depeche Mode pré-ère CD – de Dreaming Of Me à Strangelove (qui a brièvement été disponible en single CD 3″) ont été consécutivement sortis en maxis individuels, en commençant par StrangeloveNever Let Me Down AgainBehind The Wheel et Everything Counts (Live) le 9 juin 1992 ; et finissant par A Question Of LustA Question Of Time et Little 15 le 8 juin 1993. Mute Records a promu un calendrier similaire de sortie au Royaume-Uni, et remarquablement, aucune édition n’est épuisée.

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En 1992, le don de Vince Clarke de tout transformer en or ne montrait aucun signe de baisse. Erasure a eu deux singles dans le top 5 des charts britanniques (Chorus et Love To Hate You) cet été et automne extraits de leur album en tête des charts, Chorus, et leur commande maniérée de la scène a été confirmée par Giles Smith de The Independent : “Pour le duo pop Erasure, faire un spectacle visuel remarquablement ridicule est grandement une question de dépasser les normes installées par eux-mêmes ; la dernière fois qu’ils ont tourné, un ptérodactyl volait au-dessus de la scène, un vaisseau interstellaire s’écrasait sur une montagne, des fleurs géantes mécanisées guinchaient et tout le monde sur scène passait au moins une partie du concert habillé en astronaute”.

Avant la fin de l’année, Erasure sera finalement au sommet des charts singles britanniques avec leur reprise ironique de Take A Chance On Me de Abba – le morceau le plus joué de leur EP Abba-Esque (qui incluait aussi les reprises d’Erasure de Lay All Your Love On MeSOS et Voulez-Vous). (3)

Vince Clarke était toujours la popstar peu enthousiaste : “On a fait un concert où on a dansé ensemble et j’ai trouvé ça très, très difficile ; je ne me sentais pas assez en confiance pour faire ça”.

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Une telle réticence était en contraste marqué avec celle de l’ancien leader de Clarke, Dave Gahan.

Alan Wilder : “J’essaie de l’encourager, ou du moins de lui faire savoir que ce qu’il fait sur scène a de la valeur pour moi ; parce qu’il prend vraiment le gros de l’attention, et c’est très difficile à faire. Il y a très peu de bons leaders et je pense qu’il se défend bien”.

“Ma femme travaille dans la musique”, a expliqué Gahan à Jennifer Nine du Melody Maker. “Au début de l’année sabbatique [de Depeche Mode], elle travaillait sur le Lollapalooza, le premier avec Jane’s Addiction. Je suis allé y jeter un œil en fan, juste à traîner. C’était différent de marcher dans le public, pas vraiment ennuyé par les fans. J’ai remarqué que le public était le même que le nôtre, ou celui des Cure – ou beaucoup d’autres groupes, en tout cas. Les Américains voient tout ça comme une musique alternative nouvelle. Et Jane’s [Addiction] étaient juste la chose la plus incroyable que je n’avais vue depuis longtemps. Parfois ils étaient vraiment merdiques, et parfois ils étaient énormes et fantastiques”.

En fait, si énormes et fantastiques que Gahan “… a passé l’année à essayer de trouver la musique dans laquelle je voulais m’impliquer. Il y avait tant de musique vraiment bonne qui venait des States à l’époque, bien plus que de là où elle venait habituellement – l’Europe ou Londres. Ce qui se passait à la maison – toute cette techno – était vraiment chiant”.

Les doutes que Gahan aurait pu entretenir en ce qui concerne l’avenir de Depeche Mode, ou du moins, son rôle au sein du groupe ont été dissipés quand à la fin de l’année 1991, Martin Gore a soumis les démos destinées au prochain album du groupe. “J’ai des influences plus rock et blues que les autres du groupe, a déclaré Gahan plus tard. Alors quand Martin a commencé à m’envoyer des démos blues pour le nouveau disque, comme I Feel You et Condemnation, qui étaient vraiment gospel, j’ai pensé : Génial ! et les paroles étaient complètement appropriées à la manière dont je me sentais. C’était presque comme si Mart écrivait les trucs pour moi”.

Les paroles de Gore reflétaient indirectement certains aspects du style de vie de Gahan, quelque chose que Gore a vigoureusement nié à plus d’une occasion : “Eh bien, c’est bien que Dave pense que les chansons sont créées pour lui ; ça lui permet de bien les interpréter. Je suppose que l’illusion vient de nos éducations similaires et de toutes les années [qu’on a été] ensemble dans le groupe. Mais je n’essaie jamais d’écrire de la perspective de Dave. Je ne pense pas qu’il soit possible d’écrire fidèlement du point de vue de quelqu’un d’autre”.

En vérité, Gore avait à peine entendu parler de ou vu son collègue errant depuis la fin du World Violation Tour.

Paul Lester (Melody Maker) : “Si on le [Dave Gahan] regarde en 1980/81, il ressemblait au môme qu’on verrait dans [le magasin de chaussures] Dolas le samedi, à chercher la bonne taille de Hush Puppies”.

Paul Morley : “Et quand il est revenu [de LA], c’était Jésus ! Il était tatoué de la tête aux pieds ; il était maigre – toute la graisse de bébé était partie ; il était incroyablement intense. On était si loin du bébé potelé qu’il avait été”.

La transformation de l’innocent à la mode de 18 ans au visage frais qui était apparu pour la première fois sur Top Of The Pops vêtu d’une chemise pêche en “relook sponsorisé par Satan” (pour citer Keith Cameron du NME) avait apparemment été déclenché par The Stones, la biographie de Philp Norman sur les Rolling Stones, et Keith Richards, en particulier. “Keef, mec”, s’enthousiasmait Gahan en 1997, sonnant de manière suspicieuse comme le rock’n’roll incarné lui-même. “Keef était pour de vrai. Et je le regarde maintenant, et je l’aime”.

Conscient de la disparité entre la perception publique de Depeche Mode et ce qu’il voyait comme la réalité, Gahan s’est activement mis en œuvre pour changer le point central du groupe – lui-même : “On a toujours été un groupe qui sortait la nuit et déchirait tout ” on sortait boire ensemble, et tout ça, mais après notre image publique n’était pas comme ça. C’était que des conneries pendant un moment, et j’ai pensé : Pourquoi le cacher ? Des centaines l’ont fait avant moi et s’en ont sortis. Alors j’ai pensé: Je vais tenter. Et c’est comme ça que ça a commencé.

“On avait un succès fou aux États-Unis, et on a commencé [à voyager] de part le monde, jouer dans d’énormes stades avec des tas de personnes qui travaillaient pour nous, qui couraient partout pour tous nos besoins – quelqu’un qui t’habille, à faire ci, à faire ça, trouver tout ce que tu veux à n’importe quelle heure de la nuit. Alors je suis parti pour ça, et je me suis laissé emporter par ça, en gros. Le problème avec ça [c’était que] l’idée de ça est devenue plus grand qu’une personne ; j’ai perdu le contrôle du personnage – moi – dans lequel j’ai beaucoup participé à créer. Même quand [on] ne tournait pas, je pensais que je devais vivre selon une certaine image. Je ne faisais pas de musique – je pourrais prendre une guitare de temps en temps et faire une tentative pathétique… un bœuf terrible quand mes potes étaient là – mais à part ça, je sortais simplement, je jouais le rôle”.

Quand les collègues de Gahan ont finalement posé les yeux sur leur chanteur recouvert de tatouages aux cheveux longs et bouc – ressemblant (et sonnant) comme la star grunge américaine qu’il voulait désespérément être, il a finalement réalisé le choc. Jusqu’au moins 1999, Gahan était encore sidéré par son souvenir auto-mythologique de la rencontre : “J’avais changé, mais je ne l’avais pas vraiment compris jusqu’à ce que je fasse face à Al, Mart et Fletch. Leurs visages… m’ont frappé”.

Andy Fletcher : “Durant Violator, il était absolument bien. Il avait les cheveux courts. Puis on ne l’a plus vu après le World Violation Tour pendant un an environ. Quand il est arrivé en Espagne – c’était le début de Songs Of Faith And Devotion – il avait les cheveux longs, il disait qu’on devrait devenir un groupe grunge, et disparaissait dans sa chambre pendant quatre jours parfois. Alors c’était un changement massif”.

“On aurait dit qu’il avait vécu à LA depuis un an”, a résumé pitoyablement Wilder.

Martin Gore : “J’étais un peu perturbé par tout ça au début, parce qu’on l’avait pas vu depuis un moment quand on a commencé à enregistrer Songs Of Faith And Devotion. Tout à coup, ses cheveux avaient poussé radicalement, et il était couvert de tatouages. Mais, au bout d’un moment, on [est] habitué au look ; il me semblait naturel au bout d’un moment. Les gens ont toutes ces idées préconçues sur être dans un groupe électronique – on ne devrait pas avoir de cheveux longs et des tatouages. Je pense que c’est faux ; la manière dont on fait la musique ne devrait pas dicter la manière dont on fait la musique”.

Qui qu’il en soit, mais enregistrer Songs Of Faith And Devotion n’allait pas être une promenade de santé…

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(1) Au moment où ceci est écrit, un “King’s Package” était listé à 495$ (comprenant chapelle, témoin et musique, bouquet de marié en cascade et boutonnière pour le marié, gerbe ou corsage floral pour la demoiselle d’honneur, boutonnière pour le garçon d’honneur, 24 photos couleurs, cassette vidéo de la cérémonie du mariage, jarretière pour la mariée, deux t-shirts, deux coupes de champagne avec champagne offert, et un cadre pour le certificat, sans oublier, bien sûr, la pièce de résistance qui couronne le tout… un Elvis divertisant. Si cela allait à Jon Bon Jovi, cela allait à Dave Gahan. 

(2) Faith Healer représentait la seule entrée solo dans les charts britanniques en grimpant à la 60ème place le 21 mars 1992. 

(3) Clarke et Andy Bell apparaissaient en travestis en tant que chanteuses d’Abba Agnetha Falskog et Anni-Frid “Frida” Lyngstad dans le clip qui l’accompagnait. 

Traduction – 15 janvier 2012

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