Stripped – Chapitre 3

Une composition à la mode

“J’ai toujours senti que j’allais devenir une grosse star de mon propre droit – dès le début, pour être honnête”.
– Dave Gahan, 2001

David Gahan est né à Chigwell en Essex le 9 mai 1962. Comme ses futurs collègues Vince Martin et Martin Gore, Gahan venait d’un foyer désuni. “Mes parents ont divorcé quand j’étais très jeune, disait-il aux journalistes, alors Maman a déplacé la famille – ma sœur Sue et mes frères Peter et Philip – à Basildon. Elle s’est remariée et j’ai toujours admis que mon beau-père était mon vrai père. Il est mort quand j’avais sept ans”.

Un autre choc était en réserve pour Dave et ses frères et sœurs lorsque leur père biologique, Len Gahan, est apparu à l’improviste à la porte. “Je n’oublierai jamais ce jour, se souvenait Gahan à JoePie en 1987. J’avais 10 ans, et quand je suis rentré de l’école, il y avait cet étranger dans la maison de ma mère. Ma mère me l’a présenté comme mon vrai père. Je me souviens d’avoir pleuré, en disant que c’était impossible parce que mon père était mort. Comment étais-je sensé savoir que cet homme avait vécu avec nous jusqu’à mes trois ans ? Depuis ce jour, Len nous a souvent rendu visite jusqu’à un an plus tard où il a disparu à nouveau – cette fois pour toujours. Tout ce que ma mère disait, c’était qu’il avait déménagé dans le Jersey pour ouvrir un hôtel”.

Le dictat des circonstances ne rendait pas la vie facile pour la famille Gahan mais, comme Dave a plus tard laissé entendre, sa mère, Sylvia, a fait tout son possible pour ses enfants : “Je me souviens d’aller à l’école, d’avoir des tickets restaurants gratuits et des trucs comme ça – d’être dans cette catégorie. J’avais des pantalons qui étaient si brillants au niveau du cul qu’on pouvait voir mon cul ! Ils avaient des ourlets qui avaient été enlevés tant de fois que la marque restait, mais ils étaient toujours trop courts. Je pense que les temps étaient durs, mais on ne le voyait pas, vraiment. Ma mère était toujours protectrice”.

Désormais Dave et ses frères et sœurs vivaient dans une maison jumelée typique des années 1960 avec trois chambres au 54 Bonnygate, à l’autre bout de Basildon. Cela assurait pratiquement que Dave ne croise pas les chemins d’enfance de Vince Martin, d’Andy Fletcher ou de Martin Gore.

Deb Mann : “Vince, Andy et Martin sont tous allés à Nicholas – enfin, Vince est allé à Laindon, mais c’est toujours ce côté de Basildon – et ils étaient liés par l’église et la Boys’ Brigade. Ils ne faisaient pas partie des branchés. Puis il y avait Dave, qui était très, très branché, tout comme moi. Alors ils venaient d’un côté de la ville et Dave et moi de l’autre. Même si Dave avait un an de moins que moi, je le connaissais au travers l’école, les boîtes, etc. Moi, mes potes et Dave et ses potes allions en ville dans un bar [de Basildon] qui s’appelait The Sherwood, parce que c’était un endroit branché où tous les branchés allaient. Mais on n’aurait pas vu Andy et Martin aller là-bas”.

Point commun avec ses futurs collègues, Gahan avait un intérêt sain pour la pop. “J’achetais des 45 tours. J’écoutais Slade, T. Rex – tout ce genre de trucs [glam rock] – et vivais pour Top Of The Pops le jeudi”. Sa beauté adolescente attirait beaucoup d’admiratrices, comme l’explique avec enthousiasme son ancienne voisine Mandy Morgan : “La première chose dont je me souviens de lui, c’était sa beauté – toutes les filles étaient amoureuses de lui, et je ne pense pas que quelqu’un ait été surpris par son énorme succès. Mes amies et moi, on s’asseyait dans l’herbe devant chez lui à attendre de le voir aller et venir – c’est assez pitoyable, mais à 13-14 ans, c’est ce qu’on faisait !”

L’attitude pénible de Dave a commencé à se manifester sérieusement quand il est allé à la Barstable School sur Timberlog Close près de Bonnygate. “On était divisés en catégories, expliquait Dave à No 1 en 1985, alors les intellos me restaient en travers de la gorge, j’ai commencé à sécher et à avoir des ennuis avec la justice. J’ai été suspendu et j’ai terminé trois fois au tribunal pour enfants pour des choses comme piquer des moteurs, leur mettre le feu et taggers les murs. J’étais assez sauvage. J’aimais l’excitation de piquer un moteur, démarrer en faisant crisser les pneus et être poursuivi par la police. Se cacher derrière un mur avec son cœur qui bat stimule vraiment – Est-ce qu’ils vont m’attraper ?

“Ma mère faisait le mieux qu’elle pouvait si les flics se pointaient. Je me souviens d’une fois quand cette voiture de police s’est arrêtée dehors. Elle m’a demandé : C’est pour toi ? et je lui ai répondu : Oui. Je me rappelle distinctement qu’elle a dit : David est resté à la maison toute la soirée. Mais j’avais écris mon nom sur un mur avec de la peinture !”

La gratitude de Dave envers sa mère pour l’avoir soutenu, en dépit du fait qu’il “traînait avec cette sorte de personnes“, demeure en lui jusqu’à ce jour : “Je ne savais pas quelle sorte d’attention je voulais, mais je voulais être remarqué, j’ai fait passer un rude moment à ma mère, pour être honnête – allers-retours au tribunal pour enfants, etc., assez merdique”.

Ses camarades Nik Barns et Mark Levey se souviennent de l’époque de terreur adolescente à Barstaple.

Nik Barnes : “Je me rappelle d’un incident durant une pause déjeuner où on était dans une sorte de salle commune. Je pense que Dave faisait chier tout le monde alors quelques gars – dont sûrement Kevin King, Alan Hall, Gary Riddis et Gary Hall dit Nobby – l’ont attrapé par les chevilles et l’ont suspendu la tête en bas sur une fenêtre du deuxième étage devant la salle des profs. Je me souviens d’un prof nommé Mr Ward qui a levé la tête, l’a regardé et lui a demandé ce qu’il pensait être en train de faire !”

Mark Levy : “Il était tapageur, jouait un peu le beau gosse avec les filles. Le seul cours qu’on partageait, c’était le dessin technique, il était presque aussi mauvais que moi. Ce n’était pas exactement un érudit ! Je me souviens du prof de dessin technique, Mr Vanner, qui lui a fait passer un sale quart d’heure à lui et son meilleur pote Mark Longmuir quand il les a chopé en train de fumer dans les toilettes – truc normal d’adolescent”.

* * *

Comme Vince Martin avant lui, Dave s’impatientait de faire ses adieux à sa scolarité.  “J’ai quitté l’école à 16 ans – dès que possible, a dit Gahan à No 1. Mes diplômes [O levels] en art et en dessin technique ne semblaient pas être de grande utilisation”. Et comme Vince, son expérience dans la vie active post-lycée a été variée, c’est le moins qu’on puisse dire : “J’ai eu des tas de jobs. En huit mois, j’ai eu 20 emplois, de l’usine de parfum de Yarley à un poste chez Sainsbury’s.

“Je rapportais de l’argent à la maison, donnais à Maman une pension, allais au pub, m’envoyais des filles, j’étais un sauvage. Finalement, je me suis rendu compte que je n’avais pas de carrière, alors je suis parti à la recherche d’un travail en tant qu’apprenti monteur pour North Thames Gas. Mon contrôleur judiciaire m’avait dit d’être honnête pendant l’entretien – dire que j’avais un casier judiciaire, mais que j’étais rangé. Bien sûr, je n’ai pas décroché le job à cause de ça. Ça m’a coûté beaucoup de confiance, passer tous ces tests de QI et être listé”.

La réaction de Gahan ? “Je suis retourné dans le bureau de mon contrôleur judiciaire et le l’ai mis à sac !”

Inévitablement, une attitude aussi inacceptable a fini par le rattraper, et il a terminé en détention préventive le weekend pendant un an dans une sorte de Borstal (maison de redressement) dans la ville voisine de Romford. Cette expérience était “une vraie emmerde”, selon le casse-cou d’un temps : “Tu devais travailler – je me souviens d’avoir fait de l’emballage, des trucs comme ça. Tu devais te faire couper les cheveux. C’était chaque weekend, alors tu étais privé de weekend, et ça semblait durer une éternité. On m’a clairement dit que la prochaine chose qui m’attendait était un centre de détention pour mineurs. Pour être honnête, la musique m’a sauvé.

“J’étais un suiveur, je n’étais pas un dictateur. Ce n’était pas moi qui disait : Eh, allons piquer une caisse – ce n’était pas du tout le cas. J’étais toujours en train de suivre quelqu’un, pour faire un tour. Mais j’aimais vraiment la sensation que me procurait tout ça”.

Comme c’était le cas d’une grande partie des pairs de Gahan, la position révolutionnaire du punk était une révélation : “J’étais attiré par ça – probablement parce que j’étais un peu fauteur de trouble à l’époque. Je traînais avec des gosses qui aimaient faire des choses que ma mère [n’aimait pas que je fasse]. C’était cette chose d’aliénation – je ne m’intégrais pas. Voir le Clash m’a fait penser : Je peux le faire. J’ai toujours été un peu exhibitionniste et quand j’étais vraiment petit, les tantes venaient à la maison et je divertissais ma mère en imitant de mon mieux Mick Jagger ou Gary Glitter dans la pièce, faisant rire tout le monde. Je n’étais pas vraiment bon à autre chose, mais j’ai vu que les gens réagissaient vraiment. J’avais un petit côté bouffon du roi”.

Rapidement, l’adolescent a caressé l’idée d’emmener plus loin ses ambitions musicales : “J’ai répété quelques fois avec quelques groupes. Il y en avait un dans lequel mon ami Tony Burgess jouait de la batterie. Il n’avait pas de vraie batterie, il jouait sur des boîtes à biscuits – ils n’ont jamais fait de concert, ils répétaient juste après l’école. Ils s’appelaient The Vermin. Ils étaient très célèbres dans ce quartier de Basildon. Dans nos têtes, on allait être les prochains Sex Pistols”.

* * *

Avant que la musique n’entre activement dans sa vie, Dave Gahan a entrepris un cursus de Retail Display (l’art de faire les présentoirs dans une grande surface) au Southend College of Technology. À la différence de Vince Martin, en retournant dans l’éducation, Gahan trouvera sa voie – bien que temporairement.

Dave Gahan : “J’aimais l’art à l’école. Le prof était un mec sympa qui nous laissait fumer. Après trois ans, j’ai reçu le prix de la British Display Society, ce qui signifiait que je pouvais décrocher un job pour réaliser les présentoirs d’un grand magasin. C’était à l’époque du punk – 1977. Une bonne époque. J’ai aimé la fac, je dessinais des fringues pour mes potes, allais voir Generation X et The Damned. J’avais des trucs originaux de la boutique Sex [le grand magasin fétichiste sur la Kings Road de Londres, dont les copropriétaires étaient la couturière punk Vivienne Westwood et le manager des Sex Pistols Malcolm McLaren. On collait des autocollants dehors et allait dans des clubs moites londoniens comme Studio 21”.

L’enthousiasme de Gahan pour The Damned (“Je pense que le tout premier album que j’ai acheté était Damned, Damned, Damned”) l’a incité à rejoindre leur fan club et à aller régulièrement à des concerts punks au Chancellor Hall de Chelmsford. Le Clash a fait une impression tout aussi puissante : “Ce n’était pas que je voulais faire ce qu’ils faisaient musicalement – cela n’a jamais été le cas. Mais quand je suis allé voir pour la première fois un groupe comme le Clash, c’était : Je peux le faire ! Je le faisais devant le miroir avec une brosse depuis longtemps de toute façon. Je rêvais déjà de le faire, et il n’a pas fallu attendre longtemps pour que je me retrouve dans cette position”.

Robert Marlow, qui rêvait tout comme lui, a confessé n’avoir “jamais été intéressé par le punk”. Il a néanmoins croisé Dave à plusieurs occasions au Chancellor Hall : “On a vu Ultravox!, X-Ray Spex et The Adverts, et il [Dave] était là à l’époque. Alors, brièvement, il y a eu une sorte de lien entre cette petite troupe – Debbie [Danahay], Dave et d’autres – et moi. Puis je ne l’ai pas vu pendant un moment à cause du punk”.

Gahan a plus tard déclaré que Johnny Rotten est venu au Southend College alors qu’il y était, ainsi que le futur Boy George : “George est venu pour faire le mannequin et piquer des trucs. Il a eu des ennuis pour ça. C’était des gens haut en couleur, comme [le grand couturier] Steve Linnard, un grand changement après mes potes sans façons de Basildon – voyous, mais artistes”.

Alors que Gahan étudiait le Retail Display, la mode a rapidement attiré son attention de lorgneur de filles, comme le confirme l’ancienne étudiante du Southend College Fashion Design : “Il passait beaucoup de temps dans le département mode comme il était un bon ami d’un gars nommé Ivor Craig qui venait de Canvey Island. Il y avait une petite scène qui se passait à l’époque à Southend puisque Paul Webb de Talk Talk étudiait ce cursus et Boy George – à l’époque que George tout court – traînait par là de temps en temps, il était aussi ami d’Ivor Craig et a même défilé pour nous.

“Je me souviens que (Dave) était assez timide et qu’il rougissait souvent quand on lui parlait”. Ce jugement diffère de la déclaration plutôt effrontée de Gahan selon laquelle il a appris tout sur le sexe “très rapidement” grâce aux amies de sa sœur aînée Sue.

“Je n’étais pas dans les mêmes cours que Dave, dit l’ancien étudiant Dee Dye, il était dans l’année au-dessus de moi à la fac – mais nos chemins se sont croisés à plusieurs occasions. Son cours de Display était habituellement situé dans un autre bâtiment de la fac qui s’appelle l’Annexe. Lors de ma première année de l’époque, on avait des blocs de quatre semaines de chaque aspect de l’art, ça signifiait qu’on devait étudier la partie présentoir à l’Annexe, aussi. Je me souviens que Dave tournait toujours en rond à manger des sachets de Walkers (marque célèbre de chips outre-manche), alors on l’a surnommé Crisp (croustillant) – ce surnom était doublement approprié puisque sa coupe de cheveux était à l’époque une frange très laquée qui lui couvrait un œil ! Un jour, il est arrivé à la fac et ses cheveux n’étaient pas aussi rigides que d’habitude. Quand je lui ai demandé : Pourquoi tu as un nouveau look ?, il a répondu que sa sœur ne voulait pas lui prêter son sèche-cheveux !”

La personne qui peut répondre du charme de la première image de Dave Gahan est sa première femme, Jo Gahan (née Fox), dont le journal intime date leur première rencontre au 12 janvier 1979. “Ma meilleure amie à l’époque, c’était Fran Healy, qui allait à la fac avec Dave, se souvient Jo. On allait à une fête à Basildon, et comme on était en avance, on est allées le voir chez lui d’abord. J’avais 16 ans, Dave pareil. Je le trouvais mignon sans plus. On s’amusait bien avec lui. On est sortis à deux couples, puisque Fran avait commencé à sortir avec le pote de Dave, Paul Redmond, quelques fois, même si ce n’était rien de sérieux. On allait au [pub] Double Six à Basildon et à The Music Machine à Londres.

“On a commencé à sortir ensemble le 14 août 1979. On avait alors tous les deux 17 ans. J’étais attirée par son sens de l’humour. Il avait aussi de bons rapports avec les femmes – il entretenait facilement des contacts avec les filles, il était tout simplement facile à vivre. Il était aussi un peu différent des autres gars. C’était une icône cool de la mode, et il voulait pousser les frontières de la mode. Je me souviens de lui portant un pantalon de cuir ocre, ce qui était si risqué pour Basildon ! Il faisait attention à son apparence et ça ne l’ennuyait pas si les mecs le trouvaient légèrement efféminé – surtout en ce qui concernait ses cheveux. Ça lui prenait un temps fou pour les sécher et les fixer comme une huppe de paon”.

Rapidement, Dave et Jo étaient devenus inséparables. “Je vivais à Billericay avec mes parents. Il vivait avec sa mère à Bas, alors on se parlait constamment au téléphone. C’était mon meilleur ami et je l’adorais. On était la première relation sérieuse de chacun et on sentait souvent n’être qu’un. En novembre, on était tombés amoureux, Dave m’a demandé de l’épouser et le 17 novembre 1979, on s’est fiancés, après seulement 12 semaines ensemble”.

* * *

Afin de compenser peut-être ces journées perdues en conséquence de sa folle jeunesse, Dave le branché et ses nouveaux contemporains de la fac vivaient pour le weekend. “On était tout un gang à traîner ensemble, mettant de l’argent de côté pour un sachet de Blues [amphétamines], ne mangeant quasiment rien de la semaine, a dit Dave à No 1. On allait à Londres toute la nuit, finissait dans une fête, puis on prenait le tout premier train à Liverpool Street. On mettait trois plombes pour rentrer ! J’ai été lassé de ça, mais pendant un moment, c’était excitant. J’avais une double vie, je me mélangeais avec les artistes puis je rentrais à Bas. J’allais au pub maquillé, mais comme je connaissais la racaille locale, les Spanners, ça allait”.

Rob Allen était une sorte de pionnier lui-même, en partie responsable du changement de la mentalité vieux jeu de Basildon afin que des personnes sur leur trente et un comme Dave Gahan puissent respirer.

Deb Mann : “Rob Allen en particulier était vraiment branché par Gary Numan et toute la musique électronique. Je me souviens d’être allée dans des clubs électroniques branchés pour faire notre danse électronique sur Fad Gadget. Rob était très branché et on se payait souvent de sa tête parce que c’était l’un des premiers mecs de Basildon à porter de l’épais eyeliner noir”. Une partie de ces individus blessants responsables étaient en fait des amis de Dave Gahan !

Les attitudes sociales de Basildon, vers 1979, n’allaient pas changer du jour au lendemain. Dave Gahan acceptait sans broncher, malgré une menace omniprésente de violence qui s’étendait aux non-individualistes. Les mortels plus doux comme Martin Gore tressaillent rien qu’en y repensant : “Même aux bons endroits [de Basildon], on s’attirait des ennuis, mais si tu t’écartais des sentiers battus, tu risquais vraiment de te faire attaquer. Quand j’avais 17 ou 18 ans, mes amis et moi, on revenait d’une fête à Laindon, qui était une ville proche de Basildon, et on a entendu des pas de course derrière nous. On n’y a pas fait attention, mais tout à coup, on était entourés de six gars qui disaient : Lequel d’entre vous a traité mon pote de putain de branleur ? Un de ceux là, tu vois ?

“Alors ils ont commencé à nous tabasser à coups de poings et de pieds. Mon pote s’est enfui dans une rue parallèle avec quelques uns à ses trousses. Il a réussi à les semer, à sauter par dessus un mur et à se cacher dans un jardin, alors que j’avais un gars massif qui me tabassait. Alors je suis revenu à la fête, j’ai croisé des gens que je connaissais à moitié et je leur ai raconté ce qui s’était passé. Alors ils m’ont dit : T’inquiètes, rentre avec nous. Alors on est rentrés et ce gars est toujours là à attendre en disant : Le voilà – le putain de branleur ! Alors il revient vers moi et personne ne bouge. Et l’un d’entre eux me dit : Je pense que tu ferais mieux de courir. Merci beaucoup !

“Ce n’était pas des temps marrants. Dave [Gahan] se faisait tabasser tout le temps parce qu’il s’habillait en dehors de la norme”. On ne s’étonne pas que Martin Gore ait exprimé un désir de fuir la ville dès qu’une opportunité se présenterait.

Andy Fletcher : “Pour être honnête, à Basildon, il n’y avait pas grand chose à faire. Soit tu volais des voitures, soit tu allais à l’église”.

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Deb Mann : “Andy a fait une interview récemment – je pense que c’était dans un journal local – où il disait que s’il n’était pas allé à l’église, il aurait été un criminel. Ça a fait un grand scandale. Je ne sais pas ce qui lui a pris de dire ça, parce que ce n’était pas du tout vrai”.

Pour Dave Gahan, à 17 ans, la véritable action résidait au delà des confins claustrophobiques de Basildon. “J’étais un soulboy, j’ai tout fait, j’ai tout été, s’est-il une fois vanté. J’aimais la soul et le jazz-funk comme The Crusaders. J’allais à des weekends soul et traînait avec la clique de Global Village [boîte de nuit tenue sous les arches de Charing Cross à Londres] et je suis allé au Lyceum [sur le Strand londonien] un vendredi soir”.

La fiancée de Gahan, Jo Fox, sortait aussi régulièrement : “Mon journal intime dit tout – Killing Joke, Joy Division, Echo & The Bunnymen, Siouxsie & The Banshees, Spizz, Orchestral Manoeuvres, Magazine, Wasted Youth, Only Ones, Adam & The Ants, Cure, Human League, Teardrop Explodes, Clash, Classix Nouveaux, Martian Dance, Psychedelic Furs, Damned, Ultravox. Chaque semaine, j’étais à la Music Machine ou au Lyceum ou alors à l’Electric Ballroom.

“Dave n’allait pas aux mêmes concerts, même s’il aimait et achetait la musique. Il était plus dans la scène Goldmine. Wasted Youth au Bridgehouse [dans le quartier londonien de Canning Town] étaient mes grands préférés. Le meilleur ami du chanteur était un ami de la famille, et comme je suis née et j’ai été élevée dans l’East End, je connaissais bien le quartier – Wasted Youth étaient le grand groupe local. À cette époque, j’avais encore des proches chez qui je dormais quand je m’aventurais pour aller à des concerts. Dave n’a pu s’empêcher d’être attiré par cette scène et il a rapidement été accro. Un grand événement auquel Dave et moi devions aller était le premier weekend Cabaret Futura à Leeds où Wasted Youth étaient à l’affiche, avec les Psychedelic Furs et Soft Cell”.

Robert Marlow : “Dave a commencé à aller au nightclub Barons à Leigh-on-Sea. Désormais, il traînait avec une bande complètement différente, ils étaient tous branchés par un club célèbre sur Canvey Island qui s’appelait The Goldmine, où ils jouaient beaucoup de northern soul. Dave était ami de ce gars nommé Paul Redmond, qui était un peu la star locale – il avait été dans le Basildon Echo parce qu’il était punk. Il était un peu plus âgé que nous alors c’était quelqu’un qu’on respectait un peu”.

Dave Gahan : “Je traînais avec un groupe de gars qui allaient dans ces nightclubs [qui jouaient de la northern soul] et qui écoutaient des trucs comme The Crusaders et Herbie Hancock – au fond des soulboys de l’Essex. Et on partait en weekends soul à [Great] Yarmouth pour faire une émeute. C’était marrant, se bourrer la tronche et dessoûler un peu, puis reboire, danser et tout le reste. C’était de bons moments”.

Robert Marlow : “Je me souviens quand j’ai commencé à traîner dans la scène de Southend, tout le monde était accro au truc futuriste. Le vendredi soir, on allait à The Cliff qui était un pub gay en ville, et on achetait des French Sticky Blues – des stimulants, trois pour une Livre à ce gars qui s’appelait Superman, parce qu’il ressemblait à Superman, plein de manières douces comme Clark Kent. Et c’est là que j’ai commencé à voir beaucoup plus Dave. Il était toujours habillé de noir – avec un pantalon de cuir noir et ses cheveux noirs hérissés, il était beau. Il prenait son personnage très au sérieux”.

Le moment exact où l’étiquette “futuriste” a été appliquée pour la première fois à la musique pop électronique est difficile à localiser avec précision, même si on a manifestement beaucoup de renseignements sur le futurisme lui-même (1). Avec des chansons comme le Trans-Europe Express de Kraftwerk qui passaient doucement sur les dancefloors européens dès 1977, la connexion entre la musique électronique moderne et son ancêtre italien est facile à voir.

On pourrait dire que l’ancien disc jockey Steve Brown était le principal futuriste de Southend : “Je tenais des clubs à Southend qui étaient préparés pour le public alternatif – c’était moi qui était à la porte, alors je choisissais qui pouvait rentrer et qui ne le pouvait pas. C’est ce que je faisais principalement, même si je faisais le DJ pour quelques clubs. D’une manière, on était vraiment les premiers promoteurs, la seule raison pour laquelle on a fait ça, c’était à cause de la manière dont on s’habillait et notre look, plus le genre de musique qu’on écoutait, ce qui signifiait qu’on ne pouvait pas avoir accès aux endroits normaux.

“Un petit club particulier que l’on faisait se trouvait au dessus du pub The Cliff à Westcliff, qui était un endroit connu à l’époque. On avait l’étage et on y installait nos concerts – pas vraiment des concerts, mais juste une soirée du vendredi régulière. Tous ceux qui étaient des… j’exècre absolument le terme Nouveau Romantiques, mais tous les bizarres du coin y venaient. C’est là que j’ai connu Dave [Gahan], même s’il était un jeune gars relativement normal à l’époque”.

Il s’est avéré que le pote de fac de Dave, Ivor Craig, a formé la base de cette association mutuelle. “Ivor emmenait Dave, qui est aujourd’hui le parrain du fils d’Ivor, dans nos clubs, dit Steve Brown. Non pas que c’est quelque chose dont je dois être fier, mais j’ai été la première personne à lui vendre ce qui était connu à l’époque sous le nom de Speckled Blues – juste pour le plaisir. Alors il venait me voir pour acheter ses quelques pilules, mais il n’a jamais fait quoi que ce soit de sérieux jusqu’alors. De toute façon, personne d’entre nous n’avait vraiment commencé à remarquer quoi que ce soit jusqu’à ce qu’il ait commencé à dire à tout le monde qu’il avait monté un groupe, ou rejoint un groupe”.

Dave doit remercier Rob Allen pour cela. “Dave traînait avec Paul Redmond, et c’est comme ça qu’il a fini par mixer notre son [de French Look]. Il n’avait aucune idée, mais alors aucun de nous n’en avait – il n’y avait pas grand chose à mixer, pour être honnête ! On répétait au foyer de jeunes Woodlands qui était en fait un endroit plein d’histoire en lui-même. Les Who y ont joué dans les années soixante – selon le gars qui le dirigeait”.

Avec la rapide transformation musicale de Dave d’observateur passif à participant actif, l’une des dernières pièces du puzzle Depeche Mode allait se mettre en place.

* * *

Vince Clarke : “Dave Gahan était l’accessoire de mode de Basildon, c’était le Nouveau Romantique, il courait une rumeur selon laquelle il avait été au Blitz [le club du chanteur de Visage, Steve Strange, et de son copain batteur Rusty Egan] à Londres, alors c’était très glamour. Alors on a décidé de le prendre comme leader, parce qu’il était haut en couleur et extraverti, et aussi très confiant. Alors on lui a fait passer une audition”.

Selon tous les récits, Vince Martin était un leader peu enthousiaste de Composition Of Sound. Deb Mann :  “Je sais que ça paraît idiot, mais Vince n’aimait pas vraiment les feux de la rampe – il les aimait mais ne les aimait pas, si tu vois ce que je veux dire”.

Gary Smith appuie cette observation : “Vince n’a jamais voulu être sous les feux de la rampe – jamais jamais. Voici un fait intéressant : un jour, on revenait du centre ville de Basildon et il m’a dit : Tu sais quoi ? J’aimerais être comme les Buggles. Je pense qu’il essayait de faire comprendre le fait que les Buggles avaient relativement beaucoup de succès en tant que compositeurs, mais qu’ils n’avaient pas beaucoup de fans. Je pense que Vince voulait le succès sans la gloire”.

Robert Marlow : “Vince avait décidé qu’il avait besoin d’un leader et Gahan-y avait toutes les qualités requises – il venait d’ailleurs. Il était bien plus mondain, d’une certaine manière. Il allait dans des clubs à Londres, alors que nous, on lisait à propos d’eux et écoutait toute la musique. Il était formé sur le tas”.

“Dave faisait partie de la bande avec laquelle on allait au pub, dit Gary Smith, et quelqu’un l’a persuadé de chanter parce que sa voix se prêtait bien à leurs [Composition Of Sound] trucs. Et il avait une image aussi, Dave – jeune et branché. Je pense que ça faisait probablement partie de la raison pour laquelle ils l’ont pris”.

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Alors qu’il ne desserre typiquement pas les dents au sujet de ses soi-disant défauts, Vince Clarke se souvient du “processus de recrutement” de Dave Gahan durant cette infâme répétition à Woodlands School :

“Comme personne ne venait à nos concerts, on a décidé que comme Dave Gahan était très, très populaire, on le prendrait dans le groupe. Il avait vraiment le profil de l’emploi, alors on a décidé de l’auditionner pour le poste de chanteur. Je me souviens de l’entretien qu’on lui a fait passer, et je me souviens quand il a chanté. On lui a donné trois chansons – deux que j’avais écrites et une reprise de Bryan Ferry… une chanson de Roxy Music. Il a mal chanté les originales, ça je m’en rappelle, mais il a bien chanté celle de Bryan Ferry, parce qu’elle lui était manifestement familière. Alors on a décidé qu’il allait pour le job”.

Quelque peu inévitablement, Dave Gahan a une vision différente des événements, et a dit à Stephen Dalton dans une interview de 2001 :

“Ces gars répétaient – ils s’appelaient Composition Of Sound, et Vince était dans le groupe. Je trimballais le matos d’un groupe nommé French Look, et un soir, on s’amusait, on faisait quelques chansons de Bowie et on a fait une reprise de « Heroes ». Paul [Redmond], mon ami, essayait de me faire chanter dans ce groupe [French Look]. Il y avait un gars dans le groupe dont le nom était Rob Marlow – à l’époque, je crois que son nom, c’était Robert Allen, c’était un chanteur/guitariste/clavier et il n’était pas mauvais du tout. Mais Paul, mon pote, disait un truc du genre : Dave sait chanter, il est beau, il sait chanter – je l’ai entendu ! Mais ce gars [Rob Allen] s’en foutait. En tout cas, ce soir là, j’ai chanté sur « Heroes » et ces gars répétaient à côté. Et alors, environ une semaine plus tard, j’ai reçu un coup de fil de Vince. Il m’a demandé : C’était toi qui chantais ? et j’ai répondu : Oui – c’était en fait un groupe de personnes qui chantait mais j’ai dit que c’était moi”.

Dans un récit moins récent (pour No 1, en 1985), Dave enjolivait encore plus les choses : “Vince Clarke, je l’ai rencontré un jour devant un pub du centre [de Basildon]. Il se faisait tout petit parce qu’il avait un peu peur des skins”.

Peu importe comment cela s’est passé, avec l’accessoire de mode de Basildon – “un bon mannequin futuriste/nouveau romantique”, comme Robert Marlow l’a adroitement dit – à bord, Gahan est devenu la pièce manquante du puzzle du groupe, comme Stephen Dalton l’a dit : “Bien que simple porte-parole des compositeurs Clarke et Gore, son charisme de mâle a envoyé une secousse de rock punky dans leur machine électropop”.

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“Mannequin futuriste/nouveau romantique” ou n’importe, il est apparu que Vince Martin ait fait un choix judicieux en Dave Gahan, que les tactiques “approprie-toi-un-public” se sont révélées plus utiles pour donner de la vitesse à Composition Of Sound.

Dave Gahan : “On a eu de la chance. Dès le début, j’avais ce groupe d’amis qui aimaient s’habiller et aller à des concerts, des amis qui tenaient divers clubs – à Londres, à Southend et à Canvey Island, un petit groupe d’amis qui écoutaient de la musique qui était un peu différente de tout ce que tout le monde écoutait : de la musique électronique, beaucoup de Bowie, de Roxy Music, de Kraftwerk, des trucs comme ça – probablement Iggy Pop. Alors on avait presque ce public tout prêt de 30 personnes qui étaient les cools de Southend. Les gens du vendredi soir. Les excentriques”.

Des excentriques comme Steve Brown, qui a rapidement chanté les louanges de la nouvelle recrue, offrant un aperçu quant à pourquoi Dave Gahan en leader de Composition Of Sound était un geste avisé : “Dave était un mec mignon et avait un style, alors que les autres étaient considérés par nous comme rétro. On pouvait comprendre que Dave était dans un groupe avec eux, mais ils ne faisaient pas partie de notre scène. C’était plus les occasionnels de Basildon. Puis, tout à coup, ils y sont rentrés en faisant partie d’un groupe. Dave était la véritable chose, pas eux”.

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(1) Futurisme : “… mouvement italien d’une grande portée qui incluait la poésie, la littérature, la peinture, les graphismes, la typographie, la sculpture, le design, l’architecture, la photographie, le cinéma et les arts du spectacle, et qui s’intéressait principalement au caractère dynamique, énergique et violent du changement de vie au XXème siècle, surtout la vie urbaine”, telle est la définition trouvée sur le site internet : www.futurism.org.uk

Traduction – 18 novembre 2006

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